La FNAPOG présente ses condoléances à la famille de Maître Badinter et s’incline devant la mémoire d’un très grand Homme.
Marie-Louise Lorenzon
Présidente
Robert Badinter (/ʁɔbɛʁ badɛ̃te/a), né le dans le 16e arrondissement de Paris et mort dans la nuit du 8 au dans la même ville, est un homme politique, juriste et essayiste français.
Professeur de droit privé et avocat au barreau de Paris, il se fait connaître du grand public pour son combat contre la peine de mort dont il soutient l’abolition devant le Parlement en .
Proche de François Mitterrand et membre du Parti socialiste, il est successivement garde des Sceaux de à , président du Conseil constitutionnel de à 1995 et sénateur des Hauts-de-Seine de à .
Tout au long de son engagement politique, il prend position pour la réinsertion des détenus, pour une série d’évolutions du Code pénal ainsi que pour la lutte contre l’antisémitisme et l’homophobie.
Biographie
Jeunesse et études
Son père, Samuel (dit Simon) Badinter, né en 1895, arrivé en France en 19191, est issu d’une famille juive de Bessarabie (raion de Telenești). En 1920, il suit les cours de l’Institut commercial de l’université de Nancy, où il obtient le diplôme d’ingénieur commercial. Il s’établit commerçant en pelleteries en gros à Paris (société Paris-New York) et demeure cité de Trévise. Il épouse le à Fontenay-sous-Bois, Shiffra (dite Charlotte) Rosenberg, originaire comme lui de Bessarabie. La cérémonie religieuse a lieu à la synagogue Nazareth dans le 3e arrondissement de Paris2. Le couple est naturalisé Français en 3. Leur fils Robert naît quelques semaines plus tard.
De 1936 à décembre 1940, Robert Badinter est élève au lycée Janson-de-Sailly à Paris4.
Sa grand-mère maternelle Idiss meurt d’un cancer à Paris en 19425. Son père est arrêté par la Gestapo lors de la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon le . Robert, 14 ans, part à la recherche de son père et manque d’être, lui aussi, arrêté6. Simon est déporté depuis le camp de Drancy par le convoi n°53 du 25 mars 1943. Il meurt peu après au camp de Sobibor7. Naphtal Rosenberg, oncle maternel de Robert, né le à Edenitz en Moldavie, est déporté par le convoi No. 12, en date du 29 juillet 1942, de Drancy vers Auschwitz8. Sa dernière adresse est au 15 rue de Sévigné, dans le 4e arrondissement de Paris8.
De à , Robert Badinter trouve refuge, avec sa mère9, et son frère, Claude Badinter, à Cognin en périphérie de Chambéry10, où, inscrit avec de faux papiers portant le nom de Berthet11, il entre au lycée Vaugelas12.
Robert Badinter effectue ses études supérieures aux facultés de lettres et de droit de l’Université de Paris, où il obtient une licence de lettres en 1948 et une licence de droit en 1948. Il bénéficie d’une bourse du gouvernement français pour compléter sa formation aux États-Unis et obtient, en 1949, la maîtrise en arts de l’université Columbia13.
Carrière professionnelle
Revenu en France, il s’inscrit comme avocat au barreau de Paris en 1951 et commence sa carrière comme collaborateur d’Henry Torrès14. Il obtient un doctorat en droit à la faculté de droit de Paris en 1952 avec une thèse sur « Les conflits de lois en matière de responsabilité civile dans le droit des États-Unis », sous la direction de Jean-Paulin Niboyet15.
En à Dakar, il défend le ministre des Finances sénégalais, Valdiodio N’diaye, accusé de « tentative de coup d’État » par le président de la République Léopold Sédar Senghor, dans le cadre de la crise politique de décembre 196216.
Ayant réussi en 1965 l’agrégation de droit privé, il devient professeur et enseigne aux universités de Dijon (1966), Besançon (1968-1969) puis Amiens17 (1969-1974), avant d’être nommé, en 1974, à l’université Paris I, où il enseigne à l’École de droit de la Sorbonne jusqu’en 1994, date à laquelle il devient professeur émérite13.
Parallèlement à sa carrière universitaire, il fonde en 1965 avec Jean-Denis Bredin le cabinet d’avocats Badinter, Bredin et partenaires18, où il exerce jusqu’à son entrée dans le gouvernement en 1981. Il participe à la défense du baron Édouard-Jean Empain après l’enlèvement de celui-ci et exerce autant comme avocat d’affaires (Coco Chanel, Boussac, talc Morhange, Empain, l’Aga Khan, etc.) que dans le secteur du droit commun.
En 1972, il est le défenseur de Roger Bontems, mais ne parvient pas à éviter la peine de mort à son client pour qui la Cour n’avait retenu que la complicité dans l’affaire du meurtre d’une infirmière et d’un gardien de la centrale de Clairvaux. Cet événement marque le début de son long combat contre la peine de mort et explique le fait qu’il accepte de co-défendre Patrick Henry, accusé d’avoir tué un garçon de sept ans en 1976. Grâce à sa plaidoirie contre la peine de mort en 1977, il sauve Patrick Henry de la peine capitale, ce dernier étant alors condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Par la suite, toujours dans le cadre de sa lutte contre la peine capitale, il défendra et évitera également la mort à :
- Michel Bodin, en (avec Me Nicole Pollak – fille de Me Émile Pollak – et Me Assicaud), coupable de l’assassinat d’un retraité (sans torture) le 19 ;
- Mohamed Yahiaoui, en , coupable du meurtre d’un couple de boulangers le 20 ;
- Michel Rousseau, en , coupable du meurtre d’une enfant de sept ans le , alors qu’il était ivre21 ;
- Jean Portais, en , septuagénaire déjà condamné deux fois aux assises pour d’autres faits, coupable du meurtre d’une jeune femme lors du braquage d’une bijouterie, puis du meurtre d’un policier qui l’avait interpellé, crimes qui remontent à 1968-196922 ;
- Norbert Garceau, en (avec Me René Catala et Me Matthieu, bâtonnier d’Albi), coupable (récidiviste) du meurtre d’une jeune femme le 23. En 1953, il avait étranglé une jeune fille de quinze ans et avait été condamné à la réclusion criminelle à perpetuité24, puis libéré en 197225.
En 1973, il publie chez Grasset son récit L’Exécution.
En 1974, il défend sans succès le joueur américain de tennis Jimmy Connors contre la Fédération française de tennis et son président Philippe Chatrier qui lui avait interdit de jouer le tournoi de Roland-Garros parce que sous contrat avec la World Team Tennis. Connors gagna cette année-là les trois autres tournois du Grand Chelem de tennis, il ne réussit ensuite jamais le Grand Chelem.
Il défend également la milliardaire Marie Christine von Opel (de), condamnée le par la chambre correctionnelle de cour d’appel d’Aix-en-Provence à cinq années d’emprisonnement pour une affaire de stupéfiants et libérée le avec vingt autres femmes détenues, par une grâce du président de la République François Mitterrand proposée par Robert Badinter, devenu entre-temps ministre de la Justice26.
En , il défend le directeur de la société Givaudan, Hubert Flahaut, dans l’affaire du talc Morhange, qui avait provoqué la mort de nombreux nourrissons sept ans auparavant. Il déclare alors à ce propos : « Ce n’est pas une société qui est jugée, mais un homme, je me sens un devoir de défendre cet homme »27. En 1981, tous les condamnés de ce procès bénéficieront de la loi d’amnistie votée par la nouvelle Assemblée nationale.
Son dernier procès avant de devenir ministre de la Justice est celui contre le négationniste Robert Faurisson, qu’il fait condamner en 1981 pour avoir « manqué aux obligations de prudence, de circonspection objective et de neutralité intellectuelle qui s’imposent au chercheur qu’il veut être » et avoir « volontairement tronqué certains témoignages ». Et cela avant la loi Gayssot, qui date de et qui qualifie de délit le fait de contester l’existence d’un crime contre l’humanité jugé par le Tribunal militaire international de Nuremberg7.
De 1986 à 1991, il anime avec l’historienne Michelle Perrot un séminaire sur la prison sous la Troisième république à l’École des hautes études en sciences sociales. La Prison républicaine (1871-1914) qu’il publie en 1992 vient conclure ce cycle de travail28.
Parcours politique
Sa carrière politique débute comme ministre de la Justice (du au ). À ce poste, il présente à l’Assemblée nationale, le — au nom du gouvernement de la République —, le projet de loi abolissant la peine de mort29,30. Il porte également des projets de lois, issus des 110 propositions du candidat Mitterrand comme :
- la suppression des juridictions d’exception comme la Cour de sûreté de l’État et les tribunaux des Forces Armées en temps de paix ;
- permettre à tout justiciable de porter un recours devant la Commission et la Cour européenne des droits de l’homme31 ;
- le renforcement des libertés individuelles par la suppression de la disposition légale pénalisant les relations homosexuelles avec un mineur pour des âges où les relations hétérosexuelles étaient légales, etc. ;
- l’amélioration du droit des victimes, notamment à travers la loi du 5 juillet 1985 : création d’un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation ;
- le développement des peines non privatives de libertés par l’instauration des jours-amende et des travaux d’intérêt général pour les délits mineurs.
Il relance en 1985 la commission de révision du Code pénal instituée par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et qui avait cessé de fonctionner après l’élection de François Mitterrand, en 1981.
François Mitterrand, président de la République, le nomme président du Conseil constitutionnel17 en ; il occupe cette fonction jusqu’en . Il fait du Conseil constitutionnel un « bloc » rigide face aux majorités de droite, notamment contre les lois Pasqua-Debré32, Charles Pasqua mettant alors en cause son impartialité lorsque le Conseil annule huit articles de sa loi sur l’immigration33,34.
Le président hésite à le nommer Premier ministre en 1992, optant finalement pour Édith Cresson après avoir également pensé à Roland Dumas35.
Lors du renouvellement du Sénat du , il est investi par son parti face à la sortante Françoise Seligmann36 et devient l’unique sénateur PS des Hauts-de-Seine. Il est réélu en 2004.
Au niveau international, il préside la « Commission d’arbitrage pour la paix en Yougoslavie » (communément appelée Commission Badinter) qui est créée le par la Communauté européenne. Avec quatre autres présidents de cours constitutionnelles européennes, la commission Badinter rend, de à , quinze avis sur les problèmes juridiques qu’entraîne la sécession de plusieurs États de l’ancienne Yougoslavie. Ces avis ont notamment permis de préciser certains points comme l’existence et la reconnaissance des États, les règles de succession et de respect des traités internationaux par ces derniers et la définition des frontières37.
En 1991, il participe à l’élaboration de la Constitution de la Roumanie38.
Depuis 1995, Robert Badinter est président de la Cour européenne de conciliation et d’arbitrage de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Il est membre du conseil d’administration de l’Institut français des relations internationales (IFRI)39.
Plusieurs promotions portent son nom40.
Depuis 2011
À l’expiration de son mandat de sénateur, Robert Badinter profite de son temps libre pour donner naissance à « un projet conçu depuis longtemps ». En effet, assisté de deux autres professeurs de droit, il crée un cabinet de consultations juridiques nommé Corpus consultants, destiné à répondre à des questions précises que des juristes uniquement leur soumettent. Ce cabinet est composé de membres tous professeurs agrégés de droit et reconnus dans leur domaine.
En 2013, il écrit le livret de l’opéra Claude, inspiré du roman Claude Gueux de Victor Hugo41,42.
Au décès de Maurice Faure le , Robert Badinter devient le doyen des ministres de la Justice français43.
En , il publie Le Travail et la Loi avec le juriste Antoine Lyon-Caen, un ouvrage qui plaide pour réformer le Code du travail.
En , le Premier ministre Manuel Valls lui confie pour mission de fixer en deux mois les grands principes de ce nouveau « Code du travail », qui devait entrer en vigueur en 201844.
Le 9 octobre 2021, les 40 ans de l’abolition de la peine de mort sont célébrés avec un discours de Robert Badinter ainsi que du président Emmanuel Macron au Panthéon45.
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