juillet 2024

C’est parce que le tocsin sonne que les militaires de haut rang sont autorisés à parler
La Grande Muette ne l’est plus.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’on a jamais entendu ou lu autant d’interventions de hauts gradés militaires appartenant singulièrement à l’armée de Terre.
Dès sa prise de fonction comme chef d’état-major des Armées, en juillet 2021, soit avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, le général Thierry Burkhard alertait tous azimuts sur la
nécessité de se réarmer pour « gagner la guerre avant la guerre ». Il réitérait cette mise en garde le lundi 22 janvier 2024, lors de la leçon inaugurale du cycle de conférences « Confrontations et
recompositions stratégiques » de la chaire « Grands Enjeux Stratégiques Contemporains » de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Mais déjà, dans sa fonction précédente de chef d-état-major
de l’armée de Terre, il prévoyait le retour de conflits étatiques de haute intensité.
Le 10 mars 2024, c’est le chef d’état-major actuel de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, qui s’exprimait dans le journal Le Monde sous la forme d’une tribune intitulée « L’armée de Terre se tient prête », tribune reprise de façon plus développée dans « La revue des deux mondes ».
Pratiquement simultanément, sortait en librairie, le 11 avril 2024, un livre intitulé « Entre guerres » rédigé par le général François Lecointre, ancien chef d’état-major des Armées et, aujourd’hui, Grand chancelier de la Légion d’honneur. L’auteur est alors apparu sur de nombreux médias pour en faire la promotion.
En service commandé ou non, il semble donc que les militaires occupant de hautes fonctions soit autorisés, voire encouragés, à s’exprimer. A n’en point douter, le contexte guerrier du moment n’y est pas pour rien.
Plus révélateur encore, il ne semble pas que le général de corps d’armée (quatre étoiles) Christophe Gomard, ancien directeur de renseignement militaire, qui a été élu le 09 juin dernier député européen, se le soit vu officiellement reproché. Il en avait pourtant été tout autrement en 2022 à l’encontre du général, lui aussi quatre étoiles et ancien numéro deux de l’armée de Terre, Bertrand de La Chesnais, lorsqu’il occupa le poste de directeur de campagne de monsieur Eric Zemmour pour les élections présidentielles. Ce général reçut alors l’injonction de la ministre des Armées de se mettre en retraite, étant accusé de faillir au devoir de réserve.
Or, après avoir quitté le service actif, un officier général est versé pour un certain nombre d’années (jusqu’à 67 ans) en 2e section où il reste à la disposition du ministre qui peut le rappeler à tout
moment. Une mise à la retraite au cours de cette période, pour une autre raison que médicale, est une sanction disciplinaire. C’est celle qui fut appliquée au printemps 2021 à l’encontre de généraux en 2e section signataires d’une tribune fort peu appréciée de la ministre de l’époque.
Pourquoi donc une telle évolution ? Parce que les prodromes de la guerre sont là et que si, comme le disait Clémenceau, « La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires », le politique, face à la guerre, a besoin d’être conforté et, pour cela, ne s’interdit pas de rechercher la caution des militaires en qui il a confiance.
Ainsi, lorsque le général Philippe Morillon, commandant les forces armées de l’ONU et pénétrant à Srebrenica (Bosnie-Herzégovine) en mars 1993 après un terrible massacre, prit des engagements de nature politique envers la population locale, on ne lui en tint pas rigueur. Au contraire, il apparut dans La lettre de JUILLET 2024
l’opinion publique française comme un héros quand bien même ses engagements ne furent pas tenus. A partir de 1997, le général Morillon s’investit dans la vie civile, d’abord dans le cadre des
Journées mondiales de la jeunesse à Paris, ensuite comme élu UDF au Parlement européen de 1999 à 2004. Son positionnement ne gêna personne car il était protégé par l’onction de la guerre.
Alors même qu’après Vichy, la République fut rétablie par un général, en l’espèce le général de Gaulle, celui-ci instaura, après son retour au pouvoir en 1958, une conception très autoritaire du
pouvoir, celle d’un président « jupitérien » prompt, si nécessaire, à faire tomber des sanctions. C’est à ce type d’autorité qu’Emmanuel Macron a voulu se référer face au général Pierre de Villiers, alors chef d’état-major des Armées, le 13 juillet 2017, en se présentant comme le général en chef face à des subalternes dont il exigeait une obéissance sans murmure. Mais, alors, notre pays baignait dans la tiédeur de la paix.
Car, quand la guerre menace ou quand elle est là, ou encore juste après, les grands soldats sortent de l’ombre. Ce fut le cas du général de Gaulle, mais aussi des maréchaux Leclerc, de Lattre de Tassigny ou Juin qui furent associés à la IVe République, pour des rôles de premiers plans, équivalents à ceux des ministres.
Mais revenons à l’actualité et lisons le général Schill : « Regardons le monde de manière clinique.
Plusieurs décennies de paix, émaillées de déploiements limités de corps expéditionnaires dans des missions de gestion de crise ont conduit les sociétés occidentales à sous-estimer la réalité des rapports de force et des volontés de puissance. Les guerres qui se déroulent sous nos yeux nous poussent à nous interroger sur l’espoir qui était aussi une ambition portée depuis la fin de la guerre froide : marginaliser la guerre jusqu’à la rendre illégale ; focaliser les armées sur la gestion de crise ; écarter la violence. Le projet d’un ordre mondial reposant sur la souveraineté des États, le droit international et le règlement des différends par la négociation est présenté comme contingent et occidental, voire battu en brèche. A rebours des aspirations pacifiques des pays européens, les conflits qui s’installent aux marches de notre continent témoignent moins du retour de la guerre que de sa permanence comme mode assumé de résolution des conflits. C’est un constat qu’il faut partager avec nos concitoyens ».
N’est-ce pas là une analyse d’une parfaite clarté et d’une grande rigueur qui pourrait être aussi celle d’un responsable politique ? On peut la lire parce que la guerre est aux portes de l’Europe. Avant, la Grande Muette était priée de le rester. Dommage, car dans le cas contraire, nous aurions peut-être aujourd’hui les obus qui nous manquent.
Gilbert ROBINET
La teneur des propos de ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur

Aller au contenu principal