Lundi 19 août 2024 Républicain Lorrain
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Malgré-Nous : polémique autour du dernier livre de Hervé Le Tellier
Nicolas Roquejeoffre
Le village martyr d’Oradour-sur-Glane. Photo Cédric Joubert
Une page du dernier livre d’Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, a soulevé l’indignation d’élus locaux, d’historiens et d’associations mémorielles alsaciennes. L’auteur y évoque Oradour, le procès de Bordeaux et les Malgré-nous…
Le Nom sur le mur n’est pas un roman. L’auteur, Hervé Le Tellier, l’écrit d’ailleurs dans les premières pages de son ouvrage sorti en mars dernier.
Ce n’est pas plus un livre historique même si le thème – le destin d’André Chaix, résistant de 20 ans, tué le 22 août 1944 dans la Drôme par les Allemands – s’y prêterait. Et pourtant l’Histoire « est là », insiste le prix Goncourt 2020.
Hervé Le Tellier narre justement, avec force détails, les massacres par l’occupant allemand de maquisards à Valréas et Taulignan, conte la création des Forces françaises de l’intérieur, multiplie les digressions sur la Collaboration, la Shoah, le fascisme. Et puis il y a cette page 59, énième aparté de Le Tellier.
• Quatorze Alsaciens jugés
L’écrivain y pose la question de la poursuite devant les tribunaux des auteurs des innombrables carnages perpétrés en France, notamment après le 6 juin 1944.
Cette page 59 aborde le procès de Bordeaux où ont été jugés quatorze Alsaciens et quelques seconds couteaux allemands pour le massacre d’Oradour-sur-Glane. « On n’a pas voulu emprisonner les « Malgré-nous » alsaciens de la 2e division SS Das Reich qui représentent pourtant les deux tiers des accusés », écrit l’auteur.
Il enchaîne :« Le verdict accablant du procès de Bordeaux n’aura aucune conséquence, et quand les églises d’Alsace sonneront le tocsin à la suite des condamnations, l’amnistie viendra l’annuler. La pauvre Creuse [Oradour est en Haute-Vienne, ndlr] rurale peut bien pleurer ses morts. Elle devra s’incliner devant la riche Alsace industrielle, seule région de France où jamais personne n’aura été nazi. »
Cette page 59 a heurté de nombreux Alsaciens dont Marie Goerg-Lieby, ancienne journaliste, présidente de l’Aeria, Association pour des études sur la Résistance des Alsaciens.
• << Les gradés allemands, vrais responsables >>
Dans une longue lettre ouverte, elle interpelle Le Tellier et n’hésite pas à parler de « tricherie » de sa part.« Un minimum de conscience historique vous aurait permis de savoir que les treize accusés incorporés de force dans l’armée allemande (le quatorzième était volontaire) étaient assis à côté d’autres lampistes mais allemands ceux-là, parce que la justice française ne s’était pas donné les moyens de quérir les gradés allemands, les donneurs d’ordre, les vrais responsables. » Elle cite Lammerding, patron de la sinistre 2ème division SS Das Reich, condamné à mort par contumace. Il est décédé dans son lit en 1971 en Allemagne.
Et puis Marie Goerg-Lieby rappelle à l’auteur le statut de l’Alsace et de la Moselle, territoires rattachés de force au IIIe Reich, la nazification forcée et malgré cela, la résistance de bon nombre d’Alsaciens à l’image de Marcel Weinum, décapité par ses bourreaux à18 ans à la suite d’un attentat raté contre le Gauleiter Wagner.
• << L’enrôlement de force, crime de guerre >>
« Selon moi, ces propos, même de fiction, auraient dû être assortis d’une note de bas de page expliquant ce qui avait conduit à ne pas emprisonner les incorporés de force alsaciens non pas parce que, selon les termes de l’auteur, « on n’a pas voulu les emprisonner » comme il le laisse entendre, mais bien parce que leur condamnation souleva en France un cas de conscience sans précédent », commente le président de la Région Grand Est, Franck Leroy.« En effet, comment juger et donc comment condamner des hommes dont l’enrôlement de force sous uniforme allemand était lui-même constitutif d’un crime de guerre? » D’autres élus et historiens ont apporté leur soutien à l’initiative de Marie Goerg Lieby.
Contactée, la maison d’édition Gallimard n’a pas répondu à nos sollicitations.
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