Août 2024
Les fossoyeurs de la Ve République
La Ve République s’appuie sur une Constitution voulue par le général de Gaulle et adoptée le 04 octobre 1958. On disait alors qu’il s’agissait d’un costume taillé sur mesure pour lui qui ne pourrait être revêtu par aucun autre. Cependant, elle dure depuis plus longtemps qu’aucun de nos régimes républicains précédents.
La Constitution de la Ve République a tiré les enseignements de l’instabilité gouvernementale qui avait lieu sous les IIIe et IVe Républiques. Elle renforce notamment les pouvoirs de l’exécutif et rationalise le parlementarisme. Fortement imprégnée de la personnalité du général de Gaulle, on pouvait, en effet, douter, en 1958, de ses chances de durer. Pourtant, après le général de Gaulle, des personnalités aussi différentes que messieurs Giscard d’Estaing ou Mitterrand ont trouvé que le « costume » leur convenait très bien. Le principal avantage de cette Constitution est qu’elle favorise la stabilité gouvernementale en limitant strictement les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut être renversé par l’Assemblée nationale (art. 49 et 50 de la Constitution). Le pouvoir exécutif est renforcé, car le président de la République, élu au suffrage universel, ne dépend plus des assemblées n’étant plus désigné par elles. Le gouvernement, quant à lui, est nommé par le chef de l’État et l’usage le dispense de l’investiture systématique des députés. Ses compétences sont renforcées, et, à l’origine, il partage avec le Parlement l’initiative des lois et maîtrise l’ordre du jour parlementaire. Cependant, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a depuis instauré un « ordre du jour partagé » entre le Gouvernement et le Parlement.
Il s’agit là d’une révision de la Constitution parmi les vingt-cinq qu’elle a connues entre le 04 octobre 1958 et le 08 mars 2024. Cette dernière inscrit en un article unique qui modifie l’article 34 que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». A travers ces deux exemples de natures très différentes, le premier concernant le fonctionnement de l’Assemblée nationale et trouvant naturellement sa place dans ce texte alors que le second traite d’une question sociétale faisant déjà l’objet d’une loi particulière, il apparaît que la Constitution est devenue un véritable habit d’arlequin. Certes, un constat s’impose : la société de 2024 n’est plus celle de 1958. En 1958, la France comptait 44,3 millions d’habitants, aujourd’hui ils sont plus de 68 millions. Les grandes références collectives se sont effacées au profit de l’individualisme et les éléments intégrateurs de la vie sociale se sont affaiblis. Parallèlement aux partis politiques en perte d’adhérents, fleurissent des formes de militantismes plus locaux et sectoriels et parfois violents. On doit également citer la baisse des pratiques religieuses et, plus généralement, de l’empreinte chrétienne. Pour reprendre l’expression du sondeur et analyste politique Jérôme Fourquet : « La roche mère n’affleure plus ».
Face à ces mutations, il n’était pas absurde que notre loi fondamentale évolue, mais sous la forme d’adaptations qui n’en auraient pas changé sa nature. Mais, au contraire, ce qui est apparu au cours de ces trente dernières années, c’est la tentation permanente d’ »adapter » la charte fondamentale jusqu’à la défigurer et à rompre son équilibre d’ensemble. Ce fut un lent travail de sape qui fut toutefois ponctué, à trois reprises, par la dépose de trois grosses mines qui ont fait exploser l’édifice.
La lettre d’AOÛT 2024
Chronologiquement, ce fut d’abord la cohabitation acceptée en premier par monsieur Mitterrand, en 1986, puis à nouveau par lui en 1993, avant qu’elle ne soit agréée à son tour par monsieur Chirac en 1997. Or, la cohabitation est fondamentalement contraire à l’esprit de la Ve République. Dans l’esprit du général de Gaulle, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours devait constituer des majorités fortes. Dans le cas contraire, considéré alors comme un désaveu de la politique menée, le président dispose de l’arme absolue qui est la dissolution. Mais nul ne doute que dans l’esprit du fondateur de cette Constitution, en cas d’une confirmation de la victoire de l’opposition après une dissolution, le départ du président s’imposait. C’est d’ailleurs cette règle non écrite qu’il a mise en pratique en 1969.
La deuxième erreur, fatale celle-ci, et qui avait pour objet de corriger la première, fut, en l’an 2000, l’abandon du septennat présidentiel (qui datait de 1873) au profit d’un quinquennat. On attendait de cette mesure qu’elle supprimât le risque de cohabitation, car on pensait que, logiquement, si les Français votent en même temps ou dans un espace de temps très limité pour le président de la République et les députés, ils voteront pour la même majorité. Mais la véritable et délétère conséquence, fut de vider de sa substance le rôle du Premier ministre devenu un « simple collaborateur » et de renforcer, par conséquent, celui du président qui, contrairement à l’esprit de la Constitution, ne présidât plus mais se mit à gouverner. On avait inventé « l’hyper président », s’occupant de tout, et, écrasé par sa charge, ne sachant plus distinguer l’essentiel. Les deux « héros » de cette funeste aventure furent messieurs Chirac et Jospin. Enfin, dix ans plus tard, pour s’assurer que la bête agonisante ne souffre plus, on lui assena le coup de grâce au moyen de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il s’agit là d’un contrôle a posteriori, c’est-à-dire portant sur des textes déjà promulgués qui peut donner lieu à l’abrogation d’une loi. Le Conseil constitutionnel, création de la Ve République, qui a la charge d’effectuer ce contrôle, peut être saisi par n’importe quel justiciable impliqué dans un procès par l’intermédiaire du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. L’heureux inventeur de ce rabotage des deux pouvoirs, l’exécutif et le législatif, fut monsieur Jean-Louis Debré alors président de ce Conseil.
Ainsi, chose étrange, deux gaullistes (ou se prétendant tels) messieurs Chirac et Debré et deux antigaullistes (et qui eux l’étaient vraiment) messieurs Mitterrand et Jospin, sont les fossoyeurs de la Ve République. Mais aujourd’hui, le comble est atteint puisque le dernier de nos thaumaturges élus a, en terme de miracle, transformé l’or en plomb et réinventé la IVe République.
Ainsi, la Constitution n’est plus le cadre stable et contraignant permettant un fonctionnement sans à-coups de nos institutions mais est devenu le miroir permanent de nos dissensions. Le malaise institutionnel fait écho à la fragmentation de la société française.
Gilbert ROBINET
La teneur des propos de ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur
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