3 Normandie
Le Jour le plus Long : la véritable histoire du parachutiste américain accroché au clocher de Sainte-Mère-Eglise
John Steele en 1964 au pied de l’église de Sainte-Mère-Eglise / © musée Airborne
C’est une image connue mondialement grâce au cinéma : celle du parachutiste américain accroché lors du Débarquement au toit de l’église de Sainte-Mère-Eglise, la nuit du 5 au 6 juin. Que sait-on de ce soldat qui se nommait John Steele? L’histoire s’est-elle vraiment passée comme il l’a raconté ?
Par Stéphanie PotayPublié le 24/04/2019 à 08:01
Le film le Jour le plus long a fait de lui une légende. John Steele (1912-1969), c’est son nom. Peu de gens le connaissent. Pourtant c’est lui, ce sauveur mythique accroché au toit de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, lui qui fait venir des centaines de milliers de visiteurs à Sainte-Mère-Eglise (50) chaque année et qui contribue à y voir prospérer le tourisme de mémoire.
Tout commence la nuit, une nuit bien particulière. Une nuit de feu où John Steele, 32 ans, originaire de l’Illinois, découvre la Normandie d’en-haut. Au soir de l’assaut décisif, il est en effet l’un des 1300 paras d’Overlord. Cette nuit, c’est celle du 5 au 6 juin.
John Steele, matricule 16054501
John Steele, d’origine irlandaise, est le fils de John Steele, pilote de bateaux de fret sur l’Ohio et de Joséphine, mère au foyer, les Steele ont 7 enfants au total. John est l’aîné. Il se rêve coiffeur. 1941: son destin bascule comme celui de centaines de milliers d’Américains. L’Amérique entre en guerre, ses boys vont porter l’effort sur terre, sur mer et dans les airs. John Steele devient alors para, il a 29 ans.
Au printemps 1943, John Steele découvre l’Afrique du Nord au sein de la 82e division aéroportée. Saute en Sicile et en Italie. Mais la stratégie de libération de l’Europe passe par la Normandie, nom de code: Overlord. Steele en sera.
Largué au cœur de Sainte-Mère par erreur
Au soir du 5 juin, l’offensive est imminente et la liberté viendra aussi du ciel. Steele est l’un de ces 13 000 paras, notamment à bord des célèbres C-47. Les environs de Sainte-Mère-Eglise sont un secteur stratégique, dans les terres mais près des côtes normandes où les moyens amphibiens se déploient …et le sable devient rouge sang. Mais par erreur, c’est sur le village même, au coeur de Sainte-Mère-Eglise que Steele est largué !
John Steele était para dans la 82 e airborne / © musée Air borne
Au sol, les Allemands ne font pas dans la dentelle, les paras se font tirer dessus. John est blessé, il s’écrase sur l’église.
Son parachute s’accroche à l’une des sculptures. Il ne parvient pas à se libérer, une seule solution : faire le mort. John Steele raconte être resté 3 heures ainsi. Il sera finalement décroché par deux allemands positionnés dans le clocher. Il est fait prisonnier mais s’évade quatre jours plus tard. Sitôt rétabli de sa blessure au pied, il est envoyé aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne.
Le parachute s’ouvre sur la notoriété en 1957
De retour aux Etats-Unis, John redevient un civil lambda : boulots dans le commerce, mariage, paternité, remariage, déménagements….
C’est en 1957 que l’histoire de l’église de Sainte-Mère remonte à la surface. Comme le relate l’Express, « une lettre étonnante lui parvient. Un journaliste d’origine irlandaise, Cornelius Ryan, prépare un livre sur le 6 juin 1944 et sollicite l’aide de centaines de survivants de ces heures mémorables. Tous reçoivent des questionnaires types. A charge pour eux, s’ils le souhaitent, de fournir des éléments biographiques et des souvenirs personnels. A la question « où étiez-vous le 5 juin 1944 à minuit ? » l’ex-para répond en lettres capitales : « Suspendu au clocher, sous la corniche de l’église de Sainte-Mère. » Pour un auteur, pareil tableau est une bénédiction. Ryan souligne la phrase au feutre rouge puis téléphone à Steele, auquel il soutire diverses précisions, notées à la volée sur des feuilles blanches : « les Allemands l’ont fait descendre »; « descendu [de l’église] à 3 heures du matin, mis dans un camion »… «
Le jour le plus long, la construction de l’Histoire…ou du mythe?
Mais ce qui met l’histoire de John Steele sous les feux de la rampe internationale, c’est le film Le jour le plus long ( 1962) avec une séquence tournée sur la place de Sainte-Mère. Cent quarante secondes sur deux heures et cinquante minutes. A star is born. Et tant pis si le scénario s’arrange des détails de la vraie histoire, notamment celle des cloches. Fake news ! Non, les cloches de l’église n’ont pas rendu sourd notre Steele, contrairement à ce que racontent les badauds au pied de l’église, encore aujourd’hui.
« Le parachutage sur Sainte-Mère-Église a dans le film une importance qu’il n’a jamais eu en réalité. Dans Le Jour le plus long, Sainte-Mère-Église devient une scène de spectacle, symbolisant et condensant de multiples expériences similaires qui n’ont pas été racontées ou connues » explique Patrick Peccate.
En revanche, le développement du petit village de Sainte-Mère-Eglise lui doit énormément, comme le relève Patrick Peccatte, chercheur associé au Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine et auteur, à l’automne
2013, d’une étude sur l’effet de zoom médiatique sur Sainte-Mère-Eglise.
» L’équipe du film n’a procédé à aucun recoupement et n’a jamais cherché à vérifier les propos de Steele. (…). Depuis cette époque, plusieurs témoignages ont permis d’établir qu’un autre parachutiste, Kenneth Russell, est également resté accroché quelque temps au clocher avant de réussir à se libérer. L’histoire de Steele est confirmée par le témoignage de Russell ainsi que par celui du soldat allemand Rudolf May qui l’a fait prisonnier. Mais ces confirmations sont très tardives puisqu’elles apparaissent seulement dans les années 1985. «
« Lors des différents largages, d’autres parachutistes sont restés accrochés quelque temps à des clochers de la région, à Saint-Côme-du-Mont et Octeville-l’Avenel notamment «
L’histoire de Steele sur le clocher, c’est une histoire sans sources historiques, pas de témoignages et zéro photo.
Le mannequin sur le toit du clocher de Sainte-Mère-Eglise
Les avis divergent en ce qui concerne la date d’apparition du mannequin sur l’église. Certaines sources mentionnent 1962 ou 1963, après la sortie du Jour le plus long, mais il est en fait vraisemblablement apparu en 1975-76. « A la base, c’était une idée du comité des fêtes, il était accroché en période du 6 juin, puis on l’a mis en période touristique, il était décroché l’hiver. Mais bon, le curé ne voyait pas du tout ça d’un bon oeil… » raconte Marc Lefèvre, maire à partir de 1984.
» Le problème aussi, c’est qu’au début, c’était de vrais parachutes de 44 qui étaient utilisés, maintenant on a trouvé des solutions avec l’armée qui les donne »
» On a dû fixer le mannequin avec un piton car il frottait contre le mur, il y a même des traces sur le clocher qui demeurent »
« Comme on l’enlevait hors de la période touristique, on recevait des tas de coup de fils de touristes qui se plaignaient. Alors on a décidé de le laisser tout le temps »
Mais le mannequin a besoin régulièrement d’une séance de toilettage.
« Il est changé tous les uns à deux ans, on met ses vêtements à la poubelle, on le rhabille à neuf et on lui brosse le visage et les mains » explique-t-on au musée Airborne. » On change aussi la voilure du parachute régulièrement, tout ça se fait en quelques heures ».
Des mythomanes en série
La célébrité de la commune et la renommée de Steele ont incité certains personnages à s’inventer un passé héroïque et prestigieux. Le cas de la mystification entretenue par Howard Manoian jusqu’en 2009 est exceptionnel. Manoian est en effet un véritable vétéran. Il s’est inventé un passé de parachutiste, largué sur Sainte-Mère-Église dans la nuit du 6 juin! Il avait bien débarqué après le D-Day à Utah Beach, mais comme membre d’une unité de décontamination.
« Une vision d’oiseau «
Quant à notre John Steele, il est revenu à Sainte-Mère en héros en 1964 après la sortie du Jour le plus long.
Aux Etats-Unis, il s’est piqué au jeu de la notoriété, jouant à fond la carte du vétéran.
John Steele en 1964 à Sainte-Mère-Eglise avec un exemplaire du livre Le Jour le plus Long dont s’inspire le film éponyme sorti en 1962. / © musée Air borne
« En mai 1969, à l’hôpital des anciens combattants de Fayetteville, c’est une cigarette à la main qu’il raconte une dernière fois son D-Day au quotidien local, l’Observer. Tout y est : le C-47, la blessure, le clocher… « Il y avait de furieux combats autour de l’église », déclare-t-il, insistant sur le fait qu’il avait de la place une « vue globale ». Une « vision d’oiseau », même. » Philippe Broussard, l’Express du 5 juin 2014.
John Steele est mort en 1969.
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