Aux Archives de la Défense, à Caen, les victimes de guerre retrouvent une identité

Le quartier Lorge, à Caen (Calvados), abrite les archives des victimes des conflits contemporains dans lesquels a combattu la France, sur 20 km de rayonnage. Un véritable trésor.

Au long des 20 km de rayonnage des archives du service historique de la Défense, à Caen, des millions de victimes de guerre, civiles et militaires, retrouvent une identité à travers les documents administratifs consciencieusement répertoriés. ©Nicolas Claich/Liberté – Le Bonhomme libre.

C’est un lieu que peu de Caennais connaissent. Pourtant, les anciennes écuries du quartier Lorge, en plein centre-ville de Caen (Calvados), recèlent un véritable « trésor national », initié au lendemain de l’Armistice du 11 novembre 1918. Soigneusement classés et répertoriés, des millions de documents, fiches individuelles, dossiers, actes administratifs, relatent un siècle d’Histoire de France, à travers le destin des victimes de guerre – civiles et militaires – des conflits auxquels a participé la France depuis 1914. Alain Alexandra, le chef des archives des victimes des conflits contemporains, une division du service historique du ministère de la Défense, installée à Caen depuis 1992, raconte :

Ce fonds a été créé dans le but d’attribuer la mention « Mort pour la France » aux victimes de la Première guerre mondiale, et donc d’ouvrir des droits pour leurs familles. Dans chaque régiment, un officier d’état-civil était chargé de recenser les victimes, pour que les municipalités puissent rédiger les actes de décès.

 

Outre le droit d’avoir son nom gravé sur le monument aux morts de la commune, la mention « Mort pour la France » permet aux familles de bénéficier d’une pension, de voir les études des enfants ou les soins pris en charge, ou encore de se voir exempter des droits de succession. « C’est une reconnaissance par la Nation du préjudice des familles et des victimes ».

Au fil des années, la mission du service dirigé par Alain Alexandra a évolué jusqu’à devenir, en 2005, un fonds d’archives publiques. « Il s’agit désormais de conservation et de valorisation d’un patrimoine », explique celui qui pilote une équipe de 18 personnes. Ces archivistes conditionnent les documents, leur attribuent une cote puis réalisent des bases de données utilisables par les historiens et les chercheurs. De nombreuses thèses, certaines qui font désormais référence, ont été publiées grâce à l’étude des archives caennaises. « Les particuliers nous sollicitent aussi, pour connaître un pan de leur histoire familiale. Nous recevons environ 5000 demandes par an ».

Recherches universitaires ou familiales

Qu’un aïeul ait été tué à Verdun, qu’un grand-père ait été déporté en Allemagne, une grand-mère tuée dans un bombardement, ou qu’un oncle ait participé à la Guerre d’Algérie, des documents permettant de retracer son parcours se trouvent forcément sur les 20 kilomètres de rayonnage du quartier Lorge. « Le gros du fonds concerne la Seconde Guerre mondiale, insiste Alain Alexandra. Des gens trouvent parfois chez nous ce qu’ils cherchaient depuis 50 ans ! » Le résultat d’un véritable travail d’enquête de la part des archivistes.

Parmi les « trésors » stockés aux archives de la Défense à Caen (Calvados), le dossier de décès de Jean Moulin. (©Nicolas Claich/Liberté – le Bonhomme libre.)

À Caen se trouvent ainsi près de deux millions de fiches concernant les quelque 1,8 million de prisonniers de guerre. Alain Alexandra précise :

Nous les utilisons quotidiennement car la majorité des demandes s’y rapportent. Les gens veulent souvent savoir dans quelle ferme leur grand-père travaillait lorsqu’il était prisonnier en Allemagne.

S’ils ne peuvent apporter ce degré de précision, les agents du service des archives de la Défense peuvent retrouver l’endroit (kommando) où était logé tel ou tel prisonnier. « La Convention de Genève de 1929 obligeait les puissances détentrices (en l’occurrence, l’Allemagne) à fournir les identités des prisonniers, et le camp (stalag) dans lequel il était affecté, détaille Alain Alexandra. Leurs familles pouvaient ainsi leur envoyer des colis. » Grâce aux listes de transfert d’un camp à l’autre, et à celles d’affectation dans les kommandos, on peut situer approximativement dans quelle région était retenu un prisonnier de guerre.

Le défi de la numérisation

Pour conserver le plus longtemps possible ces millions de documents très anciens et donc de plus en plus fragiles, Alain Alexandra et son équipe ont pour objectif de les numériser. Un travail pharaonique ! « C’est de la conservation préventive. On n’a pas assez de recul pour savoir combien de temps cela durerait ». De cette manière, les dossiers seraient moins manipulés et pourraient être consultés plus facilement, y compris en ligne. « Mais tout cela à un coût… »

Les écuries du quartier Lorge contiennent aussi les archives de la déportation de répression, qui concernait notamment les Résistants, mais aussi des réquisitionnés en STO (service du travail obligatoire), des Français envoyés en camp de concentration, principalement à Buchenwald, Mathausen ou au Struthof. « Ce sont des archives originales, qui permettent de comprendre le fonctionnement de l’univers concentrationnaire et de replacer l’individu dans un contexte général », souligne Alain Alexandra. Les cas particuliers des habitants d’Alsace et de Moselle, redevenus français en 1945 après avoir été annexés par l’Allemagne en 1940, figurent aussi dans des boîtes au quartier Lorge. « Ces « Malgré Nous » ont été reconnus « Morts pour la France » en 1948 car enrôlés de force par l’armée allemande ».

 

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Des épisodes moins connus de l’Histoire du 20e siècle éviteront de tomber dans l’oubli grâce aux archives stockées à Caen. Le « coup de force » japonais de 1945 en Indochine a fait des milliers de victimes en quelques mois : les unités françaises y qui étaient postées sont consignées rue Neuve-bourg-l’abbé. Un bataillon français incorporé dans l’armée américaine sous l’égide de l’ONU lors de la guerre de Corée ? Les noms des soldats se trouvent à Caen. Les dossiers des 14 morts français de la crise du canal de Suez, en 1956, également. Dans quelques mois, le dossier de Ronan Pointeau, soldat français tué samedi 2 novembre au Mali, atterrira lui aussi ici.

« Derrière les fiches, il y a des gens »

La guerre d’Algérie, elle, constitue un autre cas particulier puisque, à l’époque, elle n’était pas considérée comme une guerre par les autorités françaises. « Officiellement, c’était une opération de maintien de l’ordre, rappelle le chargé d’études documentaires. Ces archives ne dépendaient donc pas du ministère des anciens combattants… » Les documents concernant les victimes civiles sont en revanche conservées à Caen. Alain Alexandra estime :

Ce fonds reste à exploiter. À travers ces dossiers, on sent à quel point cette histoire est complexe et nous ramène à l’humain. Il ne faut jamais l’oublier.

C’est ce message que le chef du service s’efforce de faire passer lors des interventions qu’il prodigue régulièrement dans les établissements scolaires. Il s’y déplace toujours avec des fiches originales. « Cela permet de rendre concret aux yeux des jeunes quelque chose qui peut leur paraître lointain. En manipulant des documents manuscrits, ils prennent conscience que, derrière ces fiches, il y a des gens qui ont été pris dans la tourmente de l’Histoire ».

Renseignements : 02.31.38.45.82

De nombreux chercheurs se déplacent à Caen (Calvados) pour mieux comprendre les conflits contemporains à travers les archives de la défense. (©Nicolas Claich/Liberté – Le Bonhomme libre.)

 

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