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Cérémonie du Souvenir Français à la Chapelle des Buis, le dimanche 5 septembre 2021
Discours de Jean-Michel Blanchot, président du comité du Souvenir Français du Val de Morteau

Il est des lieux de mémoire qui forcent le respect. Dans le silence apparent de cette crypte, avec ces éternels épitaphes, devant lesquels nous nous inclinons aujourd’hui, surgissent
ces 6240 voix d’outre-tombe, comme autant de murmures qui se rappellent à notre mémoire.

Parmi eux, certains sont célèbres. Beaucoup restent discrets et sont parfois relégués dans l’anonymat de la masse de ce si lourd bilan payé par la Franche-Comté à la Seconde Guerre
mondiale.

Le responsable du Comité du Souvenir Français de Morteau que je suis ne pouvait rester insensible à certains d’entre eux. Permettez-moi alors de leur rendre l’hommage qu’ils méritent
tant.

Ces résistants du haut-Doubs ont un point commun à savoir leur jeunesse. Je pense aux noms de Robert MARGUIER et de Michel VUILLEQUEZ. Ils ont respectivement 18 et 19 ans.
Ce sont des horlogers originaires de Villers-le-Lac qui s’engagent en Résistance en devenant des passeurs dans le Val de Morteau. Ils sont tous les deux déportés, le 19 décembre 1941, pour
faits de résistance, et subiront une longue et douloureuse détention dans plusieurs prisons. Ils seront, tous les deux, ensemble, exécutés à Cologne, le 1er juin 1943.

Ces deux jeunes gens illustrent cet engagement remarquable, trop souvent oublié, d’une partie de la population le long de la frontière avec la Suisse. Durant l’Occupation allemande, le
Val de Morteau est un lieu de passage, une terre d’asile, pour les réfractaires au S.T.O., les prisonniers évadés, les aviateurs alliés tombés sur le territoire français, les résistants traqués, et
de nombreuses familles juives venues souvent de loin, de Belgique, des Pays-Bas, entre autres.

Grâce aux relations tissées par le commerce de l’horlogerie, s’organisent des filières depuis l’Est et le Nord de la France, pour guider ces proscrits jusque dans le canton de Neuchâtel voisin.
Depuis le Val de Morteau des chaînes de générosité permettent de sauver des centaines de vies.
Des passeurs-résistants acheminent des courriers. Ils deviennent également des guides clandestins sous le couvert des puissantes forêts de sapins du haut-Doubs. D’autres exercent des activités de renseignement.
Le prix de cet engagement, au nom des valeurs humanistes et républicaines, sera très lourd à payer. En effet, ces actions clandestines sont à la merci d’indiscrétions, voire de dénonciations. Elles ne manqueront pas. Ainsi, dans le canton de Morteau ont lieu une cinquantaine d’arrestations pour le passage de Juifs ou de lettres à la frontière.

Une dizaine de ces résistants sont exécutés ou meurent en déportation, comme Robert MARGUIER et de Michel VUILLEQUEZ, que nous venons d’évoquer.
Une autre équipe de jeunes gens de ce secteur connaîtra un sort aussi funeste. Il s’agit de Georges BEURET, Robert TSCHANZ, Jean VUILLECOT, qui ont entre 20 et 23 ans quand
ils sont fusillés, tous les trois, à Angers, le 16 avril 1943, avec trois autres jeunes gens. Après avoir été dénoncés, ils sont arrêtés entre juillet et août 1942. Ils comparaissent devant la justice
militaire allemande pour faits d’espionnage, de contrebande, et pour avoir faciliter le passage de Juifs vers la Suisse.

La terrible prison de Pré-Pigeon, à Angers, compte 203 cellules sous l’occupation Allemande. Dans chacune d’elle, sont enfermés jusqu’à quatre prisonniers lors des arrestations
massives de 1943 et de 1944. Les conditions de vie y sont particulièrement horribles. La torture est de mise. A la libération, sont retrouvées des matraques en bois, complètement éclatées par
la violence des coups portés, sans parler des innombrables projections de sang sur les murs qui témoignent des atrocités et des tortures commises en ces lieux.
Le 16 avril 1943, Georges, Robert et Jean sont exécutés en même temps qu’Olivier GIRAN, 22 ans. Ce jeune agent de renseignement d’un réseau clandestin se confie au pasteur
allemand qui vient le voir dans sa cellule, à l’heure de la sentence. Il déclare : « Le pas que je fais vers la mort n’est qu’un pas dans cette immensité, dans la vraie liberté. Ce que je perds est
peu de chose comparé à cette certitude que j’acquiers par ma mort. »

Ces jeunes gens sont exécutés par les Nazis près de l’étang St. Nicolas, dans le quartier de Belle Beille. Ils seront inhumés au cimetière de l’Est d’Angers, dans une fosse, sans le
moindre égard. Une semaine plus tard, le maire d’Anger procède à une exhumation afin de les identifier.
Le rapport du médecin légiste, présent lors de cette opération, fait état de visages boursouflés, tuméfiés, informes, qui témoignent des mauvais traitements subis par ces malheureux avant leur assassinat. Plus tard, en 1948, leurs dépouilles seront exhumées, une
nouvelle fois, puis transférées dans leur terre natale où elles reposent depuis. Dans l’une des cellules de la prison d’Angers, plus exactement dans la cellule n°58, on retrouve cette inscription gravée par Robert qui dessine une tombe, avec la mention « Robert TSCHANZ vingt ans 17 rue de l’Helvétie à Morteau ».

Vous en conviendrez : Nous sommes rétrospectivement sidérés par l’âge de tous ces jeunes gens, par leur courage et leur abnégation. Nous pourrions ajouter à cette liste des
passeurs-résistants, morts en héros, bien d’autres noms. Pour beaucoup, ils sont morts bien loin de leur famille, de leur haut-Doubs natal, et ce dans des conditions atroces.

Après avoir rappelé ces faits, comment, en ce lieu de mémoire si symbolique, qui nous rassemble aujourd’hui, ne pas se sentir offusqués par tous ces sophistes qui instrumentalisent
l’histoire en vidant les mots de leur sens, dans un ensauvagement des actes et des paroles, comment ne pas se sentir nauséeux, quand les mots et les symboles de la liberté et de la
résistance sont ainsi galvaudés par certains de nos contemporains ?

Alors nous faut-il rappeler, ici, en ce lieu, ce que ces mots de liberté et de résistance ont signifié, ce qu’ils ont représenté, combien ces mots, ces valeurs ont été écrits, clamés, et
défendus, dans les larmes et le sang, jusque parfois au sacrifice suprême ?

Parmi cette liste funèbre de noms inscrits dans cette crypte, beaucoup font écho à cet engagement de la jeunesse de France pour le combat de nos valeurs républicaines les plus
fondamentales. Cela nous fait penser également à Claire GIRARD, dont le nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune du Bélieu. Cette jeune résistante, dont la famille est
issue de notre haut-Doubs, est exécutée le 27 août 1944, juste quelques jours après la Libération de Paris. Son histoire est particulièrement éloquente sur cet engagement de la jeunesse au nom
de nos libertés. Remarquant les pancartes VERBOTEN installées un peu partout par les soldats allemands, la jeune fille s’écriait : « ils ne pourront accrocher leurs pancartes sur le chemin de
notre âme ».

Il existe de nombreuses lettres rédigées, par ces condamnés à mort au seuil de leur peloton d’exécution. Bien sûr, la plus célèbre d’entre-elle est, sans conteste, celle d’Henri
FERTET, qui déclare mourir pour « une France libre et des Français heureux ». Parmi ces lettres, figure aussi celle de Pierre BENOIT, qui après avoir été interné, pour faits de résistance
à la Prison de Fresne, est exécuté le 8 février 1943, le jour de la victoire de Stalingrad, ce jour qui marque un tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, quand la guerre, qui sera encore bien longue, bascule désormais à l’avantage des Alliés. Pierre BENOIT confie à la postérité ces derniers mots : « Mourir en pleine victoire, c’est vexant. Peu importe, le rêve des hommes fait événement ».

Pour faire écho au poids des mots, au sens de l’histoire, pour peser à sa juste mesure ce que signifie l’engagement en faveur de la liberté, en ces lieux, à 17h. se déroulera une évocation
de l’engagement dans la résistance du Marquis Léonel de Moustier, sous la forme d’une lecture théâtralisée imaginée par Pierre Louis et organisé par le Théâtre de la Clairière, dans le cadre
des Scènes d’été aux Buis, avec le concours de la Fraternité franciscaine de Besançon.

Léonel de Moustier est l’incarnation d’un esprit libre. Député du Doubs, président du Conseil Général, ce grand résistant qui, après refusé de voter les pleins-pouvoirs à Pétain, en
juillet 1940, organise un réseau de résistants, depuis son château de Bournel. Il est arrêté par la Gestapo, et meurt en déportation. Il est l’un des deux seuls parlementaires de 1940 faits
compagnons de la Libération. Cette remémoration sera un beau prolongement à notre commémoration de ce jour.

Enfin, rendre hommage à cette jeunesse en Résistance, ici, en ce lieu, c’est ne pas oublier que la mémoire n’est pas faite que de pierre, c’est être plus que jamais, toutes et tous, à la
hauteur de ce rêve de liberté porté par l’engagement de cette jeunesse en Résistance, de ceux qui sont restés, dans l’honneur, debout face à leur destin ; c’est s’interroger : qu’avons-nous
faits de leurs idéaux ?

Jean-Michel Blanchot
Chapelle des Buis, 5 septembre 2021

Le devoir de mémoire

Les valeurs de la République, lorsque vous lisez ce récit que nous a communiqué Jean Michel Blanchot, à l’issue de la cérémonie à la Chapelle des buis, vous savez que ces jeunes Femmes et Hommes les ont portées jusqu’au sacrifice suprême !

Ils nous ont forgés à 

 

leur image, certains d’entre eux ont été nos Pères/Mères, nos Frères, ………

Ceux qui perdent désormais leurs vies pour préserver ces valeurs , pour assurer à la France la Liberté de vivre dans un pays Libre laissent aussi derrière eux des veuves, des veufs, des orphelins !

« Le murmure de ces 6240 voix d’outre tombe » en ce premier dimanche de septembre dit plus que jamais que notre pays doit le respect à tous ces descendants, tous ces « Oubliés de la Nation anciens et à venir », il leur doit EGALITE et JUSTICE.

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