Sélectionner une page

Fernand PEYRONNET   agriculteur et ..passeur en 1944

Onze familles polonaises juives partent ou plutôt fuient Metz, destination Royan en ce mois de novembre 1939. Elles y restent un an puis sont dirigées vers FESTALEMS en Dordogne où elles sont assignées à résidence. Elles logent dans des maisons vides, libérées par les ouvriers agricoles qui ont été mobilisés.

Les enfants de ces nouveaux arrivants vont à l’école communale en 1941. L’instituteur Henri NEYRAT 1 vient d’y être nommé à sa sortie de l’Ecole Normale. Il fait partie de l’équipe de football des Girondins de Bordeaux. Il se lie d’amitié avec un jeune du village, Fernand joueur aussi.

Juin 1942 : port obligatoire de l’étoile jaune. L’instituteur informe ses élèves de cette odieuse et discriminatoire mesure, leur demande d’éviter toute remarque désobligeante aux porteurs de cette étoile.

Anne DRABINOWSKI, réfugiée de 17 ans, confie à l’instituteur que sa famille désire franchir la zone de démarcation2 proche de la zone libre du sud. Elle espérait son aide, mais nouveau dans la région il ne promit rien, mais en parle à Fernand PEYRONNET, 20 ans le fils d’un agriculteur ayant 2 autres fils partis à la guerre. Son père étant fort âgé c’est Fernand qui gère la ferme.

      la ferme aujourd’hui

Ce dernier, agriculteur donc, connaît très bien la région et sa cartographie. De même il a repéré les itinéraires et heures des patrouilles allemandes et les passages clandestins. Ils se donnent rendez-vous au café du village tenu par un certain Mr Pinet. Dans ce lieu l’instituteur peaufine la meilleure stratégie à adopter. L’escapade se fera 3 nuits par semaine, les parents de Fernand n’en savaient même rien, réduisant ainsi les risques au cas où ! Seul son voisin BERKOWICH (voir * 5 § plus loin) savait, il voulait d’ailleurs sauver sa fille Janette et son frère.

Il accepte ce départ qui se fera fin juillet 1942, en général vers minuit. Le couple DRABINOWSKI et leurs 3 enfants suivent Fernand portant de lourdes valises, jusqu’à RIBERAC distant de 10 km.

Jacques DRABINOWSKI voulant voir son père à Saint-Cyprien (Dordogne) fut arrêté, mis dans un train pour Drancy mais s’échappa avec un autre prisonnier grâce à la complicité d’un gardien et repartit à Saint-Cyprien (Dordogne).

Cela se faisait à travers bois, champs ce qui occasionnait des détours, Fernand craignait surtout les chiens au flair sensible. Parfois le groupe se composait de 7 ou 8 personnes.  Il lui est arrivé lors d’un transfert d’avoir une famille avec un bébé. Fernand ayant repéré une patrouille allemande, grâce au bout incandescent de leur cigarette, fit coucher tout le monde dans un fossé, mais le bébé se mit à pleurer, aussitôt on lui plaqua la main sur la bouche. Ce fut bref et sans conséquence pour le nourrisson.

Quelquefois il y avait de vieilles personnes apeurées, ce qui se comprend, qui demandaient si c’était loin. Ou bien un vieux monsieur trop faible s’accrochant à lui, qui supportait déjà le poids des valises.

Il sauva ainsi 2 autres familles. Bien lui en pris, car dans la nuit du 8 au 9 octobre 1942 les gendarmes vinrent arrêter les 7 familles3 juives restantes sur les 10 arrivées en 1940. De la déportation, certains y périrent, d’autres en revinrent comme la famille de Robert FRANK logée dans une ferme abandonnée proche du village. * Les PEYRONNET hébergèrent les BERKOWICZ qui purent participer ainsi aux travaux de la ferme.

D’autres personnes furent évacuées par le même canal : ce sont des républicains espagnols, des Alsaciens, des joueurs des Girondins de Bordeaux. Certaines familles ne voulaient pas partir.

Arrivés en zone libre, Fernand les accompagnait jusqu’à un hôtel, tenu par des amis d’origine italienne mais devenus français. Ensuite une autre personne prenait le relais et allait répartir ces réfugiés vers d’autres lieux, chez des amis à Périgueux, Saint-Cyprien etc. Pendant toutes ces activités personne ne connaissait son nom, il avait imposé cette condition. Idem pour le relayeur.

Dans le même registre un certain abbé « Bidault », arriva de Paris pour prendre en charge une soixantaine de jeunes juifs, qu’il hébergera dans la proche ferme des Hirondelles. Pour les soustraire aux allemands il leur fit faire leur 1 ère communion, leur expliquant qu’ils gardaient leur religion, cette manœuvre n’étant qu’un subterfuge momentané. Un de ces petits alerta le grand Rabin de Poitiers qui s’en vint quérir toute la communauté. Repartis à Poitiers ils furent tous arrêtés à leur arrivée et déportés à Auschwitz, d’où aucun ne revint.

Fernand faisait partie de la classe 42. Il s’apprêtait à partir mais fut réquisitionné pour le STO dans les Sudètes. Emprisonné 2 fois, s’évade 2 fois du train. Se retrouve ensuite en Tchécoslovaquie où il attend dans une gare. La police allemande arrive, demande les papiers, mais Fernand tourne discrètement autour de la table ce qui lui vaut de ne pas être contrôlé. Un employé de la gare l’aborde et lui dit de partir sur la route et que dans quelques 4 à 5 km il le rejoindra à vélo. Ce qui effectivement se passa, il le conduisit dans une maisonnette où étaient plusieurs personnes : des Britanniques, des résistants, un Allemand déserteur et un alsacien, le seul évidemment avec qui il pouvait s’entretenir. Un Britannique gérait tout ce beau monde, la population tchèque les ravitaillait et cela pendant 15 jours. Ils furent ensuite enrôlés, car un officier Tchèque leur donna le choix de rester dans cette bicoque ou de rejoindre la résistance locale ce que tous acceptèrent, afin d’aider les habitants de Prague, qui avaient pris les armes, à défendre leur ville qui fut libérée 2 ou 3 jours plus tard, le 9 mai 1945. L’événement passé Fernand rejoignit sa famille en France.

Le 11 octobre 2001 il fut désigné « juste parmi les Nations » par Yad Vashem. Et le 16 mars 2003, à 82 ans il reçut sa médaille par le consul général d’Israël à Paris, lors d’une manifestation à la salle des fêtes du village. Il y associa l’instituteur et les enfants de l’école de Saint-Privat en Périgord4qui chantèrent « Nuit et Brouillard ». Parmi les 250 personnes présentes étaient bien sûr le maire du village Mr DEBET, ainsi que le conseiller général Mr GENDREAU.

A l’origine de cette distinction il y a Isidore DRABINOWSKI5 qui entreprit les démarches nécessaires, assez longues car « Yad Vashem » enquête pour vérifier la véracité des différents témoignages.

                         Isidore DRABINOSKI

Dans une interview radiophonique il regrette d’en avoir sauvé si peu. Il évoqua le rôle du passeur : le sien qu’il faisait sans rien demander, aux gens qui n’avaient déjà rien et l’autre type de passeur qui se faisait payer, parfois une seconde fois en avertissant les Allemands mais ce genre d’odieux personnage fut repéré et passé par les armes après-guerre. Et précise que si certains sont restés indifférents, voire dénonciateurs d’autres ont agi efficacement et avec humanité.

Ce sont quand même 7 familles6 au moins qui furent sauvées, Fernand n’ayant pas tenu de comptabilité.

 

Notes :

1°) décédé en décembre 2004.Fernand aurait aimé qu’il soit lui aussi distingué de la sorte.

2°) depuis juillet 1940.

3°) internés à Angoulême avec plus de 450 autres juifs jusqu’au 3 novembre 1942 : Anna RUBENSTEIN (16 ans), la famille FRANK (Mestre le père, Betty la mère, les enfants Mireille, Marcel et Charles (8, 6 et 4 ans) le petit Frank a été séparé de sa famille le 11 octobre 1942 et sera le seul survivant, les HELFAND mari et femme, les SCHUHMAN Leiwy le père, Zlata la mère, le fils Joseph et Hélène (2 ans après) tous déportés à AUSCHWITZ, hélas sans retour.

4°) le nom du nouveau village issu de la fusion en 2017 des communes de Saint-Antoine, de Saint-Privat des près et de Festalemps.

5°) retraité à Pessac, âgé de 11 ans lors de son passage en zone libre.

6°) Salomon BRUSKI, Edmond WRILL, Chana GOLBERG, Paul LOEB, Robert FRANK, la famille DRABINOSKI 2 adultes (Jacques/Jukiel et sa femme Chaga), 3enfants (Anne, Armand, Isidore),

Les enfants d’une famille sauvée, puis émigrée aux USA entretinrent toujours une correspondance avec Fernand (2 mars 1922/ décembre 2004).

 

Sources : divers sites internet (journaux locaux), archives Yad Vashem. Interview radiophonique de radio France (extrait de l’allée des justes).

 

Aller au contenu principal