Mer et Marine
La France rend hommage à ses militaires tombés lors de la drôle de guerre
Publié le 06/09/2019 par Vincent Groizeleau
Soldats, marins, aviateurs… 3310 combattants français sont morts pendant la drôle de guerre, entre septembre 1939 et mai 1940. A l’occasion du 80ème anniversaire du déclenchement du second conflit mondial, intervenu le 3 septembre 1939 lorsque la France et le Royaume-Uni déclarèrent la guerre à l’Allemagne deux jours après l’invasion de la Pologne, une cérémonie s’est déroulée mardi au cimetière de Vincennes. Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées, y représentait le gouvernement. A l’initiative du Souvenir Français, association créée en 1887 pour garder le souvenir des soldats morts pour la France par l’entretien de tombes et de monuments commémoratifs, cette cérémonie a rendu hommage au lieutenant Jean Berguerand. Un Vincennois mort le 14 septembre 1939, à l’âge de 24 ans, lors d’une mission de reconnaissance à proximité des lignes ennemies dans la Sarre. A travers lui, un hommage a été rendu à tous les hommes morts pour la France pendant la dôle de guerre.
5 millions d’hommes mobilisés
Une période souvent considérée dans la mémoire collective comme le « calme » avant la tempête de la grande offensive allemande déclenchée le 10 mai 1940 et qui se traduisit par l’effondrement des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg puis de la France. Ces huit mois furent cependant beaucoup plus actifs qu’il y parait. La mobilisation bat son plein et l’industrie de l’armement, relancée quelques années plus tôt par le Front Populaire (contrairement à ce que dira la propagande vichyste dans un discours encore bien ancré dans de nombreux esprits) atteint des niveaux de production inédits. L’armée française ne manquera pas de matériel, mais ce ne sera parfois pas le bon, où il arrivera trop tard pour être réellement maîtrisé et opérationnel au sein des unités. Et puis il y a des lacunes, par exemple dans les communications et la DCA, et surtout des choix stratégiques du haut commandement qui aboutiront à une défaite pourtant loin d’être évidente. « En septembre 1939, la guerre ne prend véritablement personne par surprise. Contrairement à une légende tenace, les gouvernants en place ont entamé depuis 1936 un effort de réarmement. Mais, le temps allait manquer. Les 5 millions d’hommes qui partent rejoindre leur affectation n’ont pas d’illusion sur la guerre moderne. De toutes nos villes et de tous nos villages, de tous nos territoires, ils partent avec un sentiment de tristesse mêlé de résolution. La gravité et la résignation laissent peu de place à l’enthousiasme, aux fleurs ou aux défilés. Des milliers de travailleurs quittent leurs usines, des milliers d’agriculteurs quittent leurs champs. Tous laissent une famille et un foyer. Au chagrin s’ajoutent les soucis de la gestion du quotidien pour ceux qui restent. Je veux, devant vous, saluer tous nos soldats, tous nos réservistes, tous nos appelés, qui ont répondu à l’appel de la Nation en septembre 1939. Ils sont des centaines de milliers d’anonymes, ils sont des centaines de milliers de patriotes. Ils ont servi la France par les armes et par l’uniforme », a déclaré mardi Geneviève Darrieussecq dans le discours qu’elle a prononcé à Vincennes.
A l’assaut des lignes allemandes dès les premiers jours
Comme Serge Barcellini, président du Souvenir Français, la secrétaire d’Etat a rappelé que, « contrairement aux idées reçues, la « drôle de guerre » n’a pas été un moment sans combats ni victimes. Dès l’entrée en guerre, dès le 7 septembre 1939, nos armées attaquèrent entre Rhin et Moselle. Nos troupes réduisirent avec succès un saillant près de Forbach. Elles pénétrèrent en Sarre (…) Il y eut des offensives, des coups de mains, des combats aériens et des missions de reconnaissance. Toutes ces opérations comportaient une part de risque. Elles firent des victimes, des blessés et des prisonniers. Il y eut également des morts des suites d’accidents ou de maladies. Ainsi, de septembre à novembre 1939, 1136 soldats de l’armée de Terre, 256 marins et 42 aviateurs ont trouvé la mort ».
Narvik et la campagne de Norvège
Et les pertes se poursuivent l’année suivante notamment, comme le rappelle Geneviève Darrieussecq, lors de la campagne de Norvège, lorsque la France et le Royaume-Uni tentent en avril 1940 de couper la route du fer à l’Allemagne. La Royal Navy et la Marine nationale transportent un corps expéditionnaire vers le royaume scandinave, qu’Hitler a décidé au même moment d’envahir. Les combats en mer et à terre sont sanglants, comme à Narvik où les soldats français s’illustrent. « Une campagne âpre et difficile. Ils ont souvent été remarquables de courage et de combativité dans l’offensive comme dans la défensive. De nombreuses unités y ont conquis les premières parcelles de leur gloire. Même si la foudroyante campagne de France a occulté ce souvenir, ce fait d’armes mérite que l’on s’en souvienne et que l’on salue la vaillance de nos soldats ». La marine subit aussi des pertes en Norvège. Le croiseur léger Emile Bertin et le croiseur auxiliaire Ville d’Oran sont endommagés par des bombes allemandes les 16 et 19 avril 1940 dans le fjord de Namsos, de même que le contre-torpilleur Le Triomphant le 24 avril lors d’un raid dans le Skagerrak. Heureusement, il n’y a pas de victime. Le contre-torpilleur Bison n’a pas cette chance. Atteint par un bombardier allemand au large des côtes norvégiennes le 3 mai 1940, il sombre et emporte avec lui 139 marins, 60 autres étant blessés.
Quelques jours plus tôt, le Maillé-Brézé, également mobilisé pour la campagne de Norvège, avait déjà été détruit suite l’explosion accidentelle d’une de ses torpilles alors qu’il se trouvait au mouillage dans le port écossais de Greenock. Il y a 27 morts et 47 blessés.
L’explosion du croiseur Pluton
La plus grosse perte accidentelle de la Marine nationale lors de la drôle de guerre reste celle du croiseur mouilleur de mines Pluton. Le 13 septembre 1939, dans le port de Casablanca, le bâtiment saute après le déclenchement d’une de ses mines qui entraine une réaction en chaîne. Celle-ci fait 216 tués et une centaine de blessés sur le Pluton et dans le port.
S’y ajoutent des accidents de mer qui font aussi des victimes, marins également considérés comme « morts pour la France » puisque servant alors en temps de guerre.
Une flotte active mais discrète faute de grande confrontation
En dehors de la campagne de Norvège, la Marine nationale, qui possédait au début de la seconde guerre mondiale l’une des plus belles flottes de son histoire (bien qu’elle aussi non dénuée de lacunes), a été très active de septembre 1939 à mai 1940. Mais ses opérations se sont déroulées discrètement faute de grande confrontation avec les forces navales adverses. La Kriegsmarine allemande était en effet largement surclassée par les flottes alliées alors que l’Italie ne déclara la guerre que le 10 juin 1940, lorsque la France était en train de s’effondrer. Ce qui n’empêcha pas l’armée italienne d’être arrêtée par les soldats français gardant les Alpes et à la Marine nationale de lancer le 14 juin 1940 un raid sur Gênes et Savone. Quatre croiseurs (Dupleix, Foch, Colbert et Algérie) accompagnés d’une dizaine de contre-torpilleurs participèrent à cette opération, nommée Vado, que la Regia Marina fut incapable de repousser ni même d’anticiper. Les bâtiments français bombardèrent les deux ports italiens, complètement pris par surprise, cette opération surtout symbolique faisant tout de même 12 morts sur le contre-torpilleur Albatros, touché par une batterie côtière.
Chasse aux corsaires allemands
Pendant la drôle de guerre, la Marine nationale, qui voit ses effectifs monter avec la mobilisation à 160.000 hommes, dont 10.000 officiers, regroupe dès septembre 1939 ses unités les plus modernes (croiseurs de bataille Dunkerque et Strasbourg, croiseurs légers de la classe Georges Leygues, contre-torpilleurs des classes Mogador et Le Fantasque) au sein de la Force de Raid, qui opère depuis Brest. Elle a notamment pour mission d’intercepter les corsaires allemands qui attaquent les navires de commerce isolés en Atlantique. Il s’agit notamment de faire face aux trois cuirassés de poche de la Kriegsmarine, plus rapides que la plupart des bâtiments de ligne français et britanniques (à l’exception des Dunkerque, Strasbourg, Hood, Renown et Repulse) tout en étant plus lourdement armés que les croiseurs alliés. La Force de Raid participe à la traque de l’Admiral Graf Spee, mais ce dernier est finalement intercepté par les Britanniques et, après la bataille du Rio de la Plata, se saborde au large de Montevideo le 17 décembre 1939.
Protection des convois marchands et lutte ASM
La menace des corsaires et des sous-marins allemands sur les navires de commerce entraine rapidement la formation de convois, que la Marine nationale est chargée d’escorter. Ce sera l’une de ses principales activités pendant la drôle de guerre. Une mission vitale puisque 75% des approvisionnements de la France se faisaient alors par voie maritime. Les bâtiments français ont dans ce cadre ou indépendamment des escortes été largement engagés dans des opérations de lutte ASM. Les alertes et accrochages sont nombreux mais la menace des sous-marins allemands est encore faible au début de la guerre, la Kriegsmarine ne disposant encore que de peu d’unités disponibles. Ce qui n’empêche pas la marine française de remporter plusieurs victoires, les torpilleurs Sirocco (détruit le 31 mai 1940 lors de l’évacuation de Dunkerque) et Simoun coulant des sous-marins allemands en les éperonnant le 20 novembre 1939 et le 23 février 1940.
En tout, on estime au Service Historique de la Défense qu’environ 400 marins français ont péri lors de la drôle de guerre, en majorité suite à des accidents. Et il convient d’y ajouter des équipages de la marine marchande, dont plusieurs navires ont été coulés pendant cette période.
« La France n’oublie aucun des fils tombés pour elle » a souligné la secrétaire d’Etat dans son discours. « Les soldats de 1939 ont pu se sentir oubliés et mal-perçus. Ils ont été emportés par l’avalanche de la défaite et de ses conséquences. Il nous revient de corriger cet oubli mémoriel. […] En rendant hommage au Vincennois Jean Berguerand et en retraçant son parcours, c’est à tous ses frères d’armes morts pour la France de septembre 1939 à avril 1940 que nous pensons. »
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