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 «  pour que jamais la jeunesse n’oublie ».
C’est ainsi que Marie termine le récit de son exil forcé en Allemagne lors de la « germanisation de l’Alsace Moselle »
En cette période de Noël, nous admirons les façades illuminées des maisons des villages Alsaciens. Derrière ces façades se cachent encore de douloureux souvenirs de la période de cette seconde guerre mondiale durant laquelle nombre de jeunes filles durent quitter leur contrée natale que l’ennemi avait annexée illégalement.
Marie a confié à Néo son quotidien, son départ en exil et l’histoire des boules de neige transmettant des messages aux prisonniers Français.
Merci à tous deux d’avoir choisi de nous faire partager ce vécu !

Christiane Dormois

MARIE  97 ans témoigne de son exil forcé au cœur de l’Allemagne nazie

Récit d’une « Malgré-elle », auteure d’actes de « Résistance » en plein de cœur du III Reich

« En septembre 1939, alors que l’horreur de la guerre s’abat sur notre pays, je n’ai que 16 ans » Nous sommes alors submergés par le malheur, le souvenir des précédents conflits étant très vivace dans notre malheureux territoire alsacien. Mon père lors de la sanglante « Grande Guerre » s’était retrouvé à Riga, en Lettonie, l’enfer de la guerre ne l’avait jamais quitté. Après quarante-cinq ans d’ « Allemagne », en 1918, la tâche fut difficile pour se remettre au Français, mais le retour du territoire à la France sonna certainement comme une libération pour beaucoup d’Alsaciens et de Lorrains.
Depuis notre village de Lutzelbourg, à dix kilomètres de Saverne nous apprenons en juin 1940 l’arrivée imminente des soldats allemands. Papa, pour nous protéger nous cache toute une nuit dans un abri  dans une clairière.
Toute la famille, notre grand-père compris attend,  entendant les ponts alentours sauter les uns après les autres .
Les Allemands occupent le village, réquisitionnent les maisons, ma grand-mère possédant une grande maison, se retrouve avec deux soldats ; ma tante et mon oncle avaient déjà quitté Lutzelbourg, ce dernier pour le Val-d’Ajol. Notre demeure n’est pas réquisitionnée du fait que « nous sommes six enfants » tel que s’en défendra notre mère. Nous supportons les premières mesures de germanisation en nous disant

« qu’ils ne resteront pas » !

Je commence alors à aller au collège allemand, à Phalsbourg, nous nous amusons à jouer des tours à nos professeurs allemands ! Papa nous avait acheté lors de la débâcle des bicyclettes, vendues par des marchands se débarrassant de leurs vélos à bas prix. Nous sommes alors trois sœurs, toujours habillées pareillement, ayant à la maison une couturière, et trois bicyclettes pour se rendre à Phalsbourg. Tous les enfants allant avant-guerre au collège français vont désormais au collège allemand. Parmi nos professeurs, certains ne cachent pas leurs convictions nazies, notamment une Fraülein, une « pure » germaine ! Un grand garçon, chargé de mettre devant nous la carte allemande pour que notre Fraülein nous conte le IIIème Reich, destiné à vivre un millénaire, faisait en sorte que le fil lâche la carte ! Les jours de chaleur, nous soufflons dans le thermomètre pour faire monter le mercure, afin que le professeur nous libère !

Certains professeurs sont néanmoins « valables », notamment un professeur de dessin, soldat pendant la guerre d’Italie. Devant ses élèves, il conte les infamies commises par les nazis : « Tout ce qu’ont fait les Allemands en Italie, c’est affreux, ils ont volé, volé des manteaux de fourrure ! ». Il nous apprendra par ailleurs à écrire en script avec des petits bâtonnets, ce qui m’a fort intéressé. Le directeur est un brave homme, cherchant à ne pas causer d’histoire.

Un recensement a lieu auprès des jeunes filles comme auprès des jeunes hommes et dès l’année suivant l’arrivée de l’occupant, des grands départs sont organisés « pour que les Alsaciens et Alsaciennes participent à l’effort de guerre allemand. »

En 1941, nous sommes regroupées à la salle des fêtes de Strasbourg, il faut se déshabiller, nous sommes triées : « bon pour le service » ! En novembre , l’ordre de partir arrive, des Allemandes nous annoncent notre départ : « à telle heure, tel jour, il faut être à la gare de Strasbourg ».

J’ai 18 ans, je fais la rencontre de deux autres jeunes filles requises, une certaine Hélène Berg, ainsi qu’une certaine Madeleine. Dès le départ , une Allemande me prend en affection, j’ai senti qu’elle m’appréciait, désirait me soutenir. Des Alsaciennes viennent de nombreux villages.

Nous voyageons en train toute une nuit, plus une demi journée jusqu’à notre arrivée à Vurze, près de Leipzig, en Saxe. Le camp de travail de Vurze consiste en une maison en dure, où nous logeons à six par chambre. Le matin, nous sommes réveillées vers sept heures, réveil en « training ». Nous devons courir, nous mettre devant le drapeau allemand et chanter les hymnes nazis.

Cette Allemande continue à me protéger, elle ne le fait pas paraître,  je ne fais que le ressentir. Dans ce village entre Leipzig et Dresde, nous sommes obligées de passer une visite chez le médecin, ce dernier me trouve « un peu faible ». Effectivement à manger beaucoup de patates, je suis devenue une jeune fille malingre et chétive. De ce jour, cette Allemande me fait asseoir pour manger et  surveille que je me nourrisse convenablement. La nourriture est correcte en temps de guerre, nous avons même des pains au lait le dimanche matin. Nous avons chacun notre tour de cuisine : étant donné qu’il y a beaucoup plus de petits pains blancs que de filles, les filles affectées à la cuisine en ont un peu plus que les autres ! Dès qu’il en reste un à table, je suis sûre d’entendre mon Allemande appeler « Fraülein Wenster» ! Difficile à avaler lorsque j’en avais déjà mangé deux ou trois !

Nous ne sommes pas maltraitées, bien qu’il faille toujours une certaine discipline. Nous pelletons le charbon, faisons quelques autres travaux, tout en pouvant prendre des photos ! Je ne peux voir la réalité du monde extérieur, ce qu’il se passe autour de moi, à l’exception des périodes où je travaille dans les champs, pour des Allemands. Je reçois pour tâche de porter des grands paniers de betteraves récoltées dans les champs. Nous subissons par ailleurs quelques alertes de bombardement, mais rien de grave, rien de comparable aux bombardements vécus à Dresde.

En cette période d’exil forcé en Allemagne, j’ai eu parfois peur, très peur, parce que la jeune femme de conviction que je suis a souvent accompli des actions « illégales », au cœur de l’Allemagne hitlérienne. Parler avec des prisonniers français chargés d’enlever la neige sur les voies, ce qui nous était formellement interdit !

Les personnes chez lesquelles je travaille se trouvent auditrices de… Radio Londres ! Je note les informations diffusées à la radio londonienne,  les retranscris sur des petits billets que j’envoie dans des boules-de- neige vers les prisonniers français, avec des bonbons reçus dans mes colis. Donner du courage à ces prisonniers français au risque de sa vie, c’est une «Résistance»!

Je reçois un jour une petite bouteille de« schnaps », j’envoie un message aux prisonniers en leur demandant que faire, puisque la bouteille ne rentrera jamais dans une boule-de-neige ! Un soldat met son manteau par dessus son épaule, j’arrive avec ma petite bouteille de schnaps dans la poche. Nous nous approchons doucement, il fait un petit signe à la« petite Française » tel qu’ils m’appellent, je lui mets furtivement ma bouteille dans la main et je poursuis mon chemin !
J’ai certainement été protégée, non pas seulement par cette Allemande, mais également par le Ciel. Etant en plein hiver, Maman m’envoie un passe-montagne, un passe-montagne jaune que je porte constamment sur moi
« Est ce un hasard, je ne le mets pas un jour »
Et c’est le jour où arrive au domicile des personnes pour lesquels je travaille un SS, à la recherche d’une jeune fille portant « un fichu jaune ». Je me mets dès lors à écrire une lettre au directeur du collège de Phalsbourg pour lui signifier que la vie à Wurzen me convient, lettre qui me sera réexpédiée près de trois-quarts de siècles plus tard. Une lettre écrite sous le coup de la peur, comprenant que je venais d’échapper à l’arrestation, qui m’aurait certainement envoyé vers Dachau ou Auschwitz. Cinq mois, presque six mois après mon arrivée, nous sommes renvoyées chez nous. J’ai fait la rencontre de très bons Allemands, ne partageant aucunement l’idéal nazi, qui ne faisaient comme nous que subir les événements.

La vie reprend son cours, mon frère également sera déporté, il s’évadera à l’approche de la Libération. Mon père le cache chez des amis, jusqu’à l’arrivée de nos libérateurs. Depuis ma fenêtre, j’aperçois l’arrivée des soldats américains, que je prends en photo. Notre maison étant requise pour accueillir des soldats américains, nous en recueillons deux, qui vivront avec nous, faisant partie intégrante de la famille ! De fait, ils appellent notre père « Papa », notre mère « Maman » ! Ils restent auprès de nous quelques mois, le temps des Américains, le « bon temps » !

Enseignante, je suis arrivée dans le sud de la France à Ollioules, où j’ai terminé ma carrière. J’ai tâché, auprès des plus jeunes, de transmettre la mémoire, celle de ces jeunes filles déportées dans les camps de travail allemands.

 Celle de la « Résistance » dont j’avais fait preuve au péril de ma vie, à travers des boules-de-neige et autres messages, pour que jamais la jeunesse n’oublie ».

Vue du Musée de Leipzig

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