Susan, seule femme jamais incorporée dans la Légion étrangère, héroïne oubliée de la bataille de Bir Hakeim, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et d’Indochine]
Peu de personnes connaissent Susan Travers, seule femme ayant servi sous l’uniforme de la Légion : comme membre rattachée à la 13e Demi-brigade de la Légion étrangère, elle va combattre en Syrie, en Afrique du Nord, et notamment à Bir Hakeim, mais également en Italie, lors du Débarquement de Provence, en Alsace puis, après la fin de la guerre, en Indochine. Une femme extraordinaire
Susan nait en Angleterre le 23 septembre 1909. En 1939, quand la radio annonce la déclaration de guerre contre l’Allemagne, Susan Travers est alors joueuse de tennis semi-professionnelle. À la défaite de juin 1940, elle se trouve en France mais décide le 18 juin 1940 de rejoindre Londres et répondre à l’appel du général de Gaulle en s’engageant dans les Forces Françaises Libres. D’abord, elle est formée au métier d’infirmière ainsi que comme conductrice d’ambulance.
Et c’est comme telle que le 31 août 1940, elle quitte Liverpool et s’embarque à destination de Dakar en même temps que les deux Bataillons de la 13e Demi-brigade de la Légion étrangère. À bord, elle se lie d’amitié avec les légionnaires. En septembre 1940, elle accompagne les légionnaires lors de l’attaque à Dakar, contre les forces de l’État français du Maréchal Pétain.
Après cette attaque loupée, Susan suit la Légion en Sierra Leone, au Cameroun, au Gabon, au Congo et enfin au Soudan où elle fait la connaissance de Pierre Messmer, alors capitaine de la Légion, qui deviendra son plus fidèle ami. Elle est à l’époque chauffeur pour un officier-médecin de la 1re division française libre. Le 7 juin 1941, à Gaza, au cours d’un repas au mess de la Légion, Susan reçoit officiellement le surnom de ‘La Miss’. Et quelques jours plus tard, le 17 juin, elle fait une rencontre qui va changer sa vie : elle est présentée au colonel Marie-Pierre Kœnig.
Entre eux, le coup de foudre est immédiat : Kœnig, nommé général de brigade en juillet 1941, décide de prendre Susan comme chauffeur personnel. La jeune femme suit l’officier en Afrique du Nord, via la région du Dahomey, le Congo et le Caire. Il sera le grand amour de sa vie. À la tête de la 1re Brigade Française Libre, Kœnig doit contrer l’avancée en Libye des troupes de Rommel, chef des forces allemandes en Afrique du Nord. Les Légionnaires quittent le Liban pour aller tenir, avec la 1re Brigade, un fort italien abandonné nommé Bir Hakeim.
Fin mai 1942, alors que la Panzer Army Africa de Rommel prépare l’attaque de Bir Hakeim, Kœnig ordonne à toutes les femmes présentes sur place de quitter la position. Toutes, sauf une : Susan Travers est la seule femme au milieu de 3700 soldats dont 950 légionnaires de la 13e DBLE. Le 27 mai, Bir Hakeim est attaqué par les troupes allemandes : lors des deux semaines qui vont suivre, les soldats français vont repousser les assauts successifs des 40 000 hommes de Rommel.
Malgré leurs efforts héroïques, les Français sont dépassés. En moins de 14 jours, la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande, déclenche plus de 1 400 vols sur des positions alliées, alors qu’au sol, les quatre divisions germano-italiennes lancent plusieurs assauts terrestres. Au cours de l’une des attaques, un obus crève le toit de la Ford du général Kœnig, que Susan Travers, aidée par un conducteur vietnamien, fait remettre immédiatement en état. Et le 9 juin, le général Kœnig annonce à Susan que la sortie de la 13e DBLE aura lieu rapidement, dès la nuit suivante, à minuit, avec les autres forces françaises
Pour cela, les Français vont devoir traverser les lignes ennemies. A l’heure prévue, Susan, au volant de la voiture dans laquelle est installé le général Kœnig, suit la colonne des légionnaires du 2e Bataillon qui ouvre la voie dans les champs de mines. Mais la tentative d’évasion est découverte et les Allemands ouvrent le feu avec toute leur artillerie ! La colonne française doit en plus traverser un champ de mines. Afin d’éviter que les troupes ne soient désorganisées et pour montrer l’exemple, Kœnig ordonne à Susan de porter leur véhicule en tête de la colonne : la jeune femme pilote tous phares éteints sous le feu des mitrailleuses ennemies !
Finalement, vers 11h30, le 10 juin, et après un périple de plusieurs heures, la colonne française atteint les lignes britanniques. Sur le véhicule de Susan, les soldats relèvent onze impacts de balles. Les amortisseurs et les freins sont hors d’usage. Pourtant, Susan a réussi l’impensable : se frayer un chemin hors de l’enfer sur terre, en emmenant avec elle l’élite de l’armée française, même si tous ne vont pas survivre : des 3700 hommes assiégés à Bir Hakeim, 2.400 parviennent à traverser les lignes ennemies et seulement 650 hommes des deux bataillons de la 13e DBLE ont réussi à rejoindre le point de ralliement.
En avril 1943, Susan est affectée en Tunisie comme chauffeur d’ambulance à la Légion. Un an plus tard, elle suit la Légion pendant tous les combats de la campagne d’Italie. Direction ensuite la France : en août 1944, elle participe au débarquement de Provence, vivant avec la Légion l’épopée de la 1re Armée Française, qui remonte la vallée du Rhône. Elle est promue adjudant-chef en octobre.
Elle est citée à l’Ordre de l’Armée pour son courage et sa conduite exceptionnelle en Alsace, lors des durs combats d’Elsenheim, en janvier 1945. Début février, elle participe, encore avec la Légion, à la reconquête de Colmar. Enfin, en mai 1945, elle vient à Paris, car elle est invitée par la Légion au défilé de la victoire devant le général de Gaulle. C’est la fin de la Seconde Guerre mondiale pour elle. Mais pas la fin des combats.
Quelques semaines après, sur les conseils de Paul Arnault, chef de bataillon à la 13e DBLE, Susan s’engage formellement dans la Légion : à l’époque, il n’est pas demandé de préciser le sexe de la personne qui s’engage. Et aucune visite médicale n’est demandé. Elle est donc acceptée le 28 juin 1945 avec le numéro d’immatriculation 22166 ! La voici première femme de la Légion étrangère, et la seule jusqu’à maintenant.
En février 1946, elle est volontaire pour partir en Indochine avec la 13e DBLE. L’année suivante, elle épouse le légionnaire Nicholas. Ayant accouché d’un garçon, François, Susan quitte la Légion en 1947 pour « mieux assumer son devoir de mère et d’épouse ». En 1956, elle reçoit la Médaille Militaire dans la Cour d’Honneur des Invalides. Médaille qui lui est remise par … le général Marie-Pierre Kœnig. En 1996, un ancien de la 13e DBLE, le général Hugo Geoffrey, remet la Croix de chevalier de la Légion d’Honneur à Susan Travers, en présence de ses derniers amis légionnaires. C’est la 12e médaille pour cette femme exceptionnelle.
En 2000, à l’âge de 90 ans, elle écrit, avec l’aide de Wendry Holden, son autobiographie « Tomorrow to Be Brave : A Memoir of the Only Woman Ever to Serve in the French Foreign Legion ». En 2010, Simone Veil lui rend hommage lors de son discours d’entrée à l’Académie française, au siège de Pierre Messmer, lui aussi ancien de la 13e DBLE, réparant ainsi des années d’omission. Finalement, la légionnaire Susan Travers meurt le 18 décembre 2003. L’adieu à une femme extraordinaire.
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