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Mes parents vivaient heureux à La Bresse dans les Vosges, avec leurs deux filles, ma sœur née en 1936 et moi née en 1938.

Nous habitions dans une ferme à la montagne. Notre papa était tailleur de pierre dans une carrière de granit.

Au printemps de l’année 1939, des bruits circulent… peut-être y aura-t-il la guerre contre l’Allemagne. Mais personne ne veut le croire !
Mais en mai 1939, arrive l’ordre de mobilisation générale. Notre papa a dû obéir et partir, le cœur gros rejoindre son régiment, point de ralliement dans les Vosges.

Notre maman est restée seule et désespérée avec ses deux filles.

Pour subvenir à nos besoins, heureusement, elle exploitait la ferme et devait faire face à beaucoup de travail.

Elle recevait des lettres de papa qui lui expliquait qu’il devait rejoindre une ville dans l’Oise. Bien sûr tous ces déplacements se faisaient à pied ! Enfin en mai 1940 son régiment était à Noyon où il fut encerclé par l’armée allemande.

Tous furent faits prisonniers et envoyés en Allemagne dans des conditions inhumaines, serrés dans des trains à bestiaux, sans nourriture et sans eau. De plus ils ignoraient où les emmenait ce train.
La destination était à l’est, en Allemagne, à 60 kilomètres au sud de Berlin … à Lückenwalde, au stalag III A.

Maman n’avait pas de nouvelles et ignorait où se trouvait son mari.
Par le réseau de la Croix Rouge Internationale, la dernière lettre écrite par Papa, le 1er Juillet 1940 lui parvient courant juillet.

C’est fin juillet que l’annonce officielle du décès de Papa arrive à la mairie de la Bresse. Nous apprenons qu’il est décédé le 3 Juillet 1940, dans le camp des prisonniers du stalag III A, à Lückenwalde. Il était le cinquième décès parmi les prisonniers.
Il avait 33 ans, Maman avait 28 ans, ma sœur 4 ans et moi un peu plus de 2 ans.

Ce sont nos deux grands-mères qui sont venues prévenir Maman de ce courrier.

Notre grand-mère paternelle venait ainsi d’apprendre, après le décès de son plus jeune fils le 18 Juin 1940 dans le bombardement de la gare de Rennes, celui de son fils ainé, notre Papa.

Notre village de la Bresse était occupé par les Allemands, la Kommandantur installée à la mairie.
L’ordre a été donné qu’un groupe d’Allemands occupe notre maison d’où ils surveillaient les collines environnantes.

Nous vivions dans deux pièces et, pour nous protéger des obus, nous dormions la nuit dans notre cave.

La vie devenait difficile, les hommes étaient faits prisonniers, étaient déportés.

Ceux qui le pouvaient se cachaient dans la montagne, dans la forêt et ont organisé les maquis.
Il n’y avait plus d’école, plus de maîtres.

Le village était bombardé et le trajet jusqu’à l’école était dangereux.

Il ne restait plus que des femmes, des enfants, des personnes âgées.

Notre maman s’absentait pour, nous disait elle, aller soigner une voisine. J’ai appris bien des années plus tard qu’elle allait porter de la nourriture aux maquisards.

Septembre, Ocrtobre, Novembre 1944.

L’armée allemande se replie et sur son chemin n’hésite pas à voler le peu de nourriture dans les maisons et à terroriser les habitants qui se cachent.

Les maquisards voulaient sauver la population, tous furent fusillés et le village de la Bresse, en représailles, sinistré en novembre 1944.

Les habitants doivent se regrouper au centre de la commune.

Les responsables allemands donnent l’ordre de brûler notre maison. Nous emportons quelques affaires, et que fait une petite fille de 6 ans … elle emporte sa poupée.

Nous devons suivre notre maman, marcher dans ses pas car la route est minée.

Il y a beaucoup de neige et nous devons descendre jusqu’au centre du village distant de quatre kilomètres.

Dans cette situation l’enfant comprend que ce qui se passe est très grave et il obéit.

D’autres maisons brûlent sur les collines. Le village est détruit par les obus, les bombes.

Le pont a été détruit nous devons traverser la rivière sur une planche et quelques soldats nous aident.

Par camions militaires nous sommes conduits en Haute-Marne à Bourbonne les Bains.
Touchés par tant de misère les habitants nous accueillent chaleureusement.

Je me souviens de ces nombreuses familles qui me disaient de déposer mes chaussures chez elles pour notre premier Noël dans le village. Je répondais dans un gros sanglot : « je ne peux pas, je n’ai que cette paire de chaussures… »

Enfin, en 1947 nous avons pu revenir dans les Vosges, le pays se reconstruisait.
Au printemps 1949, grâce au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre, Papa a été inhumé au cimetière de La Bresse.

Je veux terminer par cette remarque : grandir petite fille puis adolescente sans pouvoir prononcer le mot « papa » est une blessure intérieure que nous gardons ma sœur et moi.

Mais c’est à notre Maman qui nous a quittées trop tôt, que nous rendons un immense hommage et à qui nous disons un grand merci.

Elle a su assurer notre avenir comme ils l’auraient fait ensemble, Papa et elle.

Merci à François Mazet

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