De l’Arc de triomphe à la place de la Nation en passant par la place de la Bastille où est installée la tribune officielle, la foule s’est massée sur le parcours du défilé tandis que la capitale s’est parée de drapeaux tricolores. La célébration de la fête nationale, dans une Europe en paix et un territoire libéré, renoue, après six années d’interruption.
Le 14 juillet 1945 est « plus que jamais fête nationale puisque la France y fête sa victoire,
en même temps que sa liberté », selon les mots du général de Gaulle.
Trois jours de commémoration et de réjouissance civiques célèbrent le retour de la souveraineté politique et l’unité nationale.
On est loin cependant de la superbe militaire de la France de 1919 ou de la liesse du Front populaire. La France sort du conflit dévastée et divisée par la guerre et l’Occupation. Les infrastructures économiques sont à reconstruire, l’état de droit et les institutions politiques à réaffirmer.
Les principales forces politiques sont en désaccord sur l’avenir politique du pays. Le général de Gaulle, l’homme du 18 juin et le libérateur, est partisan d’un pouvoir exécutif fort, alors que le parti communiste tente d’accéder au pouvoir en demandant, par le biais des Etats généraux de la Renaissance française (réunion des mouvements de résistance à Paris du 10 au 14 juillet 1945), l’élection d’une assemblée constituante souveraine.
Les divergences se retrouvent ainsi dans l’organisation et le déroulement des festivités prévues sur trois jours, commençant à l’est de Paris, le 13 juillet, et se terminant à l’ouest le 15.
La mémoire gaulliste inscrit la manifestation dans le mythe de la France éternelle de Jeanne d’Arc et de Napoléon à la suite et en amplification des commémorations des 6 et 18 juin en accordant, à côté des lieux de mémoire traditionnels que sont l’Hôtel de Ville, la Concorde, la Bastille, une place particulière au centre de Paris.
Le temps et les lieux commémoratifs sont multipliés afin de fondre les manifestations du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) et du Comité parisien de la Libération (C.P.L.), organisées par parti communiste, dans un ensemble plus vaste. La grandeur, l’unité, la souveraineté de la France sont mises en scène tant par la succession des réceptions des fêtes officielles du 13 juillet avec l’arrivée du bey de Tunis et la réception à l’Hôtel de Ville des maires alliés puis l’échange de messages entre Tchang-Kaï-Tchek et de Gaulle et la lecture du message de Truman.
Le sentiment national est revivifié tant par les bals de la Concorde ou les feux d’artifice à Longchamp, que par le programme militaire des 14 et 15 juillet : revue cours de Vincennes, défilé de la Bastille à l’Etoile. L’attraction nautique entre la Concorde et le pont Alexandre-III, qui se termine par l’apparition dans la Seine d’un sous-marin de poche allemand, aussi bien que la fête aérienne à Longchamp avec la présence de l’escadrille Normandie-Niémen, mêlent la fête à la célébration des braves.
Les veillées funèbres sur les Champs Elysées et les cérémonies de recueillement du 13 juillet à l’Opéra, au Sacré Coeur ou à l’Arc de Triomphe en hommage aux morts du conflit – l’allocution est prononcée au nom du général de Gaulle et du Gouvernement par Frenay, ministre des Prisonniers et Déportés – inscrivent les héros et martyrs dans l’épopée nationale gaulliste.
La mémoire communiste de son côté reprend la tradition républicaine et rattache l’événement au passé insurrectionnel de Paris. La tribune officielle est ainsi installée place de la Bastille. Le Comité parisien de Libération défile le 14 après-midi entre la Concorde et Bastille, clôturant ainsi les Etats généraux de la Renaissance française en empruntant un itinéraire inverse de celui du matin, consacrant l’anniversaire républicain par les hommes de l’insurrection et de la résistance intérieure dans les quartiers populaires. Le défilé civil entre la Concorde et Bastille reprend et s’approprie la mémoire du défilé militaire du matin.
A l’instar du 14 juillet de 1936, la représentation met en avant le régionalisme, l’histoire de la Révolution sous formes de chars ornés. Les anciens volontaires des Brigades internationales défilent au Mur des Fédérés. Les spectacles en plein air et les bals populaires dans les quartiers et en province répondent à la solennité et attractions officielles. Au sous-marin de poche allemand remontant la Seine, clou du spectacle nautique, les théâtres du Châtelet et de la Gaîté répondent par les matinées gratuites, où l’on joue d’ailleurs le Danton de Romain Rolland.
La mémoire communiste, en célébrant les résistants et le peuple, inscrit son programme commémoratif dans le temps vécu et à venir. Elle finit par l’emporter sur la mémoire gaulliste solennelle et lointaine : c’est un déporté qui le soir du 13 juillet parle d’unité nationale au nom du gouvernement et du général de Gaulle…
Source : MINDEF/SGA/DMPA – Photo : ©ecpa>d
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