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samedi 19 août 2023   Région Lorraine. REPUBLICAIN LORRAIN

Meuse

Frédéric Plancard

Jean-Pierre Harbulot : « Comme historien, j’essaie de connaître les faits, mais je ne perds pas de vue le contexte ». Photo darchives Jean-Noël Portmann

Le témoignage de l’ancien résistant Edmond Réveil sur l’exécution de soldats allemands en juin 1944 en Corrèze crée l’émoi. Des faits plus fréquents qu’il n’y parait partout en France à cette époque. Qu’en est-il en Lorraine ? Le point avec l’historien meusien Jean-Pierre Harbulot.

Edmond Réveil, 98 ans, a récemment remué des souvenirs de guerre. Ancien résistant FTP en Corrèze, il est le dernier témoin de l’exécution par les résistants de 46 soldats allemands et d’une femme suspectée de collaboration, le 12 juin 1944. Dans le contexte des 99 pendus de Tulle ou du massacre d’Oradour-sur-Glane perpétrés par les Allemands. Grâce à ce témoignage, fouilles sont entreprises pour retrouver ces corps, enterrés dans les bois. Il remet aussi sur le devant de la scène ces exécutions.« Je ne crois pas qu’en Lorraine, il y ait eu des exécutions aussi nombreuses. » Jean-Pierre Harbulot est un ancien enseignant-chercheur à l’Université de Lorraine, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale en Lorraine. « Il y a toujours eu des exécutions. Ce sont des actes de résistance à la fois compréhensibles mais en même temps dangereux pour la population ou les prisonniers. » Impossible aussi d’en déterminer le nombre exact, les archives restant muettes sur la question.

<< Les prisonniers de guerre doivent être protégés >>

« Le crime de guerre, on pense que c’est toujours celui de l’ennemi des Français », poursuit-il. C’est, en fait, « une infraction aux droits de la guerre qui veut que les prisonniers de guerre doivent être protégés par la puissance qui les fait prisonniers »

Mais la question est plus délicate qu’il n’y paraît. Dans le contexte des maquis, quand il y a des prisonniers, qu’en fait-on ? A l’été 44, faire des prisonniers, c’est un fait de guerre qui peut être glorieux mais qui perturbe l’action des résistants et pour des raisons éminemment pratiques, on décide de les tuer. »

Dans le cas de la Corrèze, l’ordre venait d’en-haut, selon Edmond Réveil. Une exécution pour des raisons de sécurité. « La direction des FTP était pour la mort des prisonniers pour des raisons idéologiques et pratiques. » En effet, il faut surveiller, les prisonniers et protéger le maquis. Et doit­ on les faire entrer dans le maquis au risque de les voir s’échapper .et donner des renseignements par la suite ? Près de Verdun, le massacre de résistants à Tayannes le 30 août 1944 montre « que la menace était là jusqu’à la fin ». Et puis, « il y a eu quelques déserteurs allemands à la fin août dont on ne savait pas s’ils étaient fiables ou non ».

Ces exécutions ont été aussi parfois des dilemmes :« Qui va s’en charger? Certains maquisards n’étaient pas forcément prêts à les mettre à mort ». Rappelons aussi que les résistants « ne sont pas considérés par les Allemands comme des militaires. D’ailleurs, à la fin de la guerre, les Allemands préfèrent se livrer aux Américains parce qu’ils savent qu’ils appliquent le droit de la guerre ».

Dans les bois d’Argonne

 Des exemples ? Jean-Pierre Harbulot en a recensé en Meuse. Le 10 juillet 1944 au passage à niveau de Dombasle-en-Argonne, une voiture allemande est arrêtée et les occupants emmenés dans les bois. Le 15 juillet près de Béthincourt, un camion allemand et son chauffeur sont emmenés par les résistants. Personne ne sait ce qu’est devenu le soldat.. Dans la vallée de la Saulx, théâtre de massacres, si les auteurs sont partis, certains autres soldats qui se replient « se sont fait lyncher par la population civile», explique Jean-Pierre Harbulot. « Comme historien, j’essaie de connaître les faits, mais je ne perds pas de vue le contexte.

L’opinion de l’époque, je pense qu’elle aurait approuvé. Aujourd’hui, c’est sans doute plus partagé : on peut regretter ce genre de chose, mais c’était en temps de guerre. L’opinion peut considérer que c’est un crime de guerre, mais à l’époque, c’est le résistant qui doit sauver sa peau ».

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