LE CAMP DU BAN SAINT-JEAN
(en allemand « Johannis-Bannberg »).
INTRODUCTION :
Le camp du Ban Saint-Jean (=BSJ) renaît de ses cendres.
Une phrase bien anodine. Mais il convient de plaquer sur cette expression son sens littéral pour en appréhender toute la vérité. Les cendres des milliers de victimes du BSJ entre 1941 et 1944 ont contribué à rallumer la flamme du souvenir dans les esprits et les cœurs pour imposer ce haut-lieu de mémoire à la conscience collective. Si le BSJ a plongé dans la barbarie entre 1941 et 1944, il est souhaitable d’en retracer toute l’histoire depuis sa création jusqu’à nos jours.
GEOGRAPHIE.
Mais plantons d’abord les repères géographiques. Le camp du BSJ se situe sur le ban de la commune de Denting, à cinq kilomètres de Boulay-Moselle sur une superficie de 88 hectares (voir menu situation géographique).
Cette emprise foncière provient d’expropriations opérées par l’armée dès 1929. La ferme Saint-Henri de Denting a été amputée d’une trentaine de hectares de terre arable, et la commune de Denting a dû céder 50 hectares de sa forêt communale. Le camp est installé en pleine nature, masqué par les forêts : un îlot militaire bénéficiant d’un isolement idéal
Le camp de 1934 à 1940 :
La construction du camp s’inscrit dans la stratégie de la Ligne Maginot. Il s’agit d’un camp de sûreté, en retrait des fortifications de la Ligne Maginot, destiné à récupérer les blessés des fortifications en cas d’accrochages avec l’ennemi, et à alimenter en hommes frais les équipages des forts. Il est inauguré en 1937 par le président Albert Lebrun. Il héberge le 146ème R.I.F. (Régiment d’infanterie de Forteresse) dans des structures neuves, modernes et fonctionnelles.
Les officiers sont logés dans des pavillons accueillants.
Pour rehausser la beauté naturelle du site, les autorités décident de le fleurir. C’est ainsi qu’est créée la Rose à la Ligne Maginot et 3500 plants de la Rose du Général Vaulgrenant seront plantés avant guerre au BSJ qui obtient le label de « cité jardin ».
Une souscription nationale, couronnée d’un large succès, avait été lancée.
La déclaration de la guerre sonne la fin de l’insouciance. L’utopie du soldat horticulteur, défilant la fleur au fusil, s’évapore. Après la drôle de guerre, l’attaque foudroyante de la Wehrmacht via la Belgique entraîne l’armistice en juin 1940. La Moselle est annexée au Reich et le BSJ placé sous administration allemande.
Le camp de 1940 à 1944 :
Jusqu’à l’automne 1941, le camp est transformé progressivement en lieu de détention pour les prisonniers français. Le sergent François Mitterrand séjournera d’ailleurs au camp pour une période très brève. Affecté à des travaux de jardinage à l’hôpital de Boulay, il réussit – grâce au réseau de passeurs locaux mis en place par Maya Baron – à fausser compagnie à ses gardiens. Il se terre quelques jours à Boulay, vient dormir chez Monsieur Boulanger Jean à Ricrange avant de regagner Metz, Nancy et la France libre.
L’histoire dramatique et tragique du BSJ commence le 22 juin 1941 avec l’invasion de l’Union Soviétique par la Wehrmacht, dans le cadre de l’opération Barbarossa. Les Ukrainiens sont aux premières loges : naïfs et candides, trop crédules (Hitler leur avait laissé entrevoir leur libération du bolchévisme, à eux qui n’avaient jamais admis la mainmise de Lénine (1920) sur leur souveraineté.) Ils sont faits prisonniers par centaines de milliers. Au départ, l’Etat-Major nazi tergiverse : que faire de tous ces prisonniers ? Comme ils relèvent de la communauté slave, ils font donc partie des sous-hommes, des Untermenschen qu’il s’agit d’exterminer. La propagande nazie avait suffisamment chauffé les esprits dans ce sens. Mais rapidement les autorités nazies se ravisent et décident de les envoyer à l’ouest et plus précisément en Moselle annexée où ils seront affectés dans les mines de fer et de charbon. Une main d’oeuvre taillable et corvéable à merci, bienvenue sur les sites de production industrielle pour colmater les brêches dues à l’enrôlement quasi global des Allemands dans les rangs de la Wehrmacht. C’est l’ arrivée massive des Ostarbeiter.
300 000 prisonniers soviétiques au BSJ .
Les archives officielles de l’armée française consultées à Colmar font état de 300 000 prisonniers soviétiques qui ont transité par le BSJ entre l’automne 41 et l’automne 44.
La revue « Etudes Soviétiques » évoque même 320 000 prisonniers.
Ils arrivent en train dans des wagons à bestiaux en gare de Boulay. Un voyage interminable sans alimentation. Les témoins décrivent des cortèges de morts-vivants qui se traînent au BSJ où après désinfection et établissement de leur dossier, on effectue une première sélection vers les affectations en commandos de travail . Les plus faibles restent sur place et se refont une santé chez les paysans du secteur. Mais dans ce camp, la promiscuité, l’absence de soin, le manque effarant de nourriture, vont provoquer maladies et épidémies et s’ensuit une mortalité très élevée.
A la Libération (fin novembre 1944) les survivants et la communauté ukrainienne de l’Est de la France s’évertuent à médiatiser le drame du BSJ. En novembre 1945, une commission mixte, civile et militaire, française et soviétique, se retrouve au BSJ pour enquête. On compte alors officiellement 204 fosses communes et les exhumations pratiquées dans quelques fosses permettent de dénombrer jusqu’à 120 victimes par fosse. Les quatre quotidiens de l’époque affichent unaniment plus de 20 000 victimes au BSJ.
Le camp de 1945 à 1980.
Les Ukrainiens survivants obtiennent les autorisations nécessaires à la création d’un cimetière décent qu’ils financent et consacrent à la mémoire de leurs compatriotes.
Tous les ans, ils y organisent une cérémonie commémorative en leur honneur. Le BSJ se pare des couleurs ukrainiennes: les commémorations deviennent des temps forts d’affichage de la culture ukrainienne. Les Russes sont complétement occultés dans ces démarches patriotiques. Or , si les victimes du BSJ sont majoritairement ukrainiennes, les Russes et les 13 autres Républiques de l’ex-Union -Soviétique ont fourni leurs contingents de victimes également. Au fil des années, ces cérémonies connaissent un succès croissant et Moscou finit par le savoir. Il ne peut pas tolérer qu’un Etat membre de l’Union continue à afficher seul sa culture mémorielle à l’étranger et via la voie diplomatique, il va faire pression sur Paris, pour mettre cette fête en sourdine. Comme l’explique très bien Georges Coudry dans son ouvrage « Les camps soviétiques en France » (Albin Michel) p. 297 : « Le combat des dissidents ukrainiens pour la reconnaissance de leur identité historique et culturelle avait alors ses prolongements jusque dans les cimetières français. » .
Le prétexte officiel sera la création d’une nécropole soviétique commune à Noyers Saint-Martin (Oise).
On procède in situ à trois campagnes d’exhumation en 1979 et 1980 pendant lesquelles 2879 corps seront officiellement exhumés. Comment expliquer cette érosion numérique par rapport aux 22 000 victimes affichées en 1945 ? Plusieurs réponses existent, mais la polémique tournant autour du nombre exact de victimes n’est pas close. Les victimes ukrainiennes du BSJ redeviennent soviétiques à Noyers Saint-Martin. Sur place, le cimetière du BSJ est arasé, nivelé, le site est considéré comme « clean » et l’oubli commence à tisser sa toile.
Après guerre, la présence militaire française va de nouveau s’implanter au BSJ : après le passage de quelques camps légers, le site servira de base aux aviateurs de Frescaty : les officiers et leur famille logent au BSJ, un bus militaire fait la navette entre le BSJ et Metz ou Boulay tous les jours. La troupe est également présente. Mais les aviateurs vont être remplacés par les transmetteurs en poste au quartier Grossetti à Boulay. En 1962, la cité nord est réhabilitée pour l’accueil des harkis. Mais ceux-ci ne restent qu’un hiver sur place. Le régiment de transmissions est installé au BSJ jusqu’en 1981, quand les transmetteurs sont délocalisés sur Mutzig. Le BSJ permet encore à quelques familles civiles d’y habiter mais en 1989, la dernière famille en place déménage. Il n’y plus âme qui vive au BSJ. En 1993, l’armée décalotte toutes les toitures, récupère les tuiles pour la réfection de la caserne Barbot à Metz et brûle tous les éléments putrescibles. Depuis cette date, le BSJ est livré aux caprices de la nature, une végétation anarchique y prolifère. Rappelons que le site est toujours terrain militaire et que l’accès en est interdit.Seuls les pompiers et les secouristes y accèdent encore pour leur entraînement.
La caserne de Boulay -Moselle (Bolchen).
Elle va surtout se singulariser par la présence de son hôpital militaire (Feldlazarett). Beaucoup de prisonniers malades viendront y mourir et les fiches de prisonniers, retrouvées aux archives, mentionnent le lieu de décès. Les autorités nazies avaient réquisionné et profané l’extension du cimetière israëlite en cours. Cette partie du cimetière se situant juste en face de la caserne, il était pratique pour l’occupant de venir y déverser tous les jours des charrettes remplies de victimes. Il suffisait de traverser la route ! La gestion de ce cimetière relève de la municipalité. Or lors des exhumations au BSJ, l’armée avait souhaité opérer les mêmes opérations à Boulay. Mais le député-maire de Boulay, le Docteur Julien Schvartz, avait donné une fin de non recevoir à cette requête. Les 3600 victimes répertoriées au cimetière de Boulay continuent à y reposer en paix.
Le camp du Ban Saint-Jean depuis l’année 2000.
En automne 2000, la population locale apprend par la presse que la municipalité de Denting envisage la construction au BSJ d’une usine d’incinération des boues des stations d’épuration de toute la Moselle. Gabriel Becker, alors secrétaire-adjoint de l’ADPN, (Association de Défense du Pays de Nied), tire la sonnette d’alarme et réussit à créer le front du refus, invoquant les risques environnementaux et le respect pour le site historique. Réunions publiques, pétitions, manifestations se succèdent. Gérard Géronimus, maire de Coume, interpelle Jean-Pierre Masseret, ministre délégué aux Anciens Combattants pour lui exposer la situation. Jean-Pierre Masseret se rend à ses arguments et par fax, intime à Madame Malgorn, préfet de la Moselle, l’ordre de suspendre le projet industriel. Voici le script du fax ministériel : « Dans l’espace du BSJ, 30 000 Ukrainiens prisonniers des nazis ont été détenus et y ont trouvé la mort dans des conditions contraires aux grandes valeurs de l’humanité. S’il est certain que beaucoup de corps et d’ossements ont été exhumés, personne ne peut dire qu’il n’y en a plus. Mon administration consultée par mes soins ne peut donner cette garantie . Dans le doute, je crois qu’il est nécessaire d’arrêter le projet. Le respect de la mémoire des victimes de la barbarie nazie mérite le respect et le recueillement ». Le projet est donc abandonné.
Gabriel Becker veut en savoir davantage sur toute cette question. Il commence ses investigations auprès des anciens témoins, recueille leurs témoignages, consulte les archives et la presse de l’époque, photographie les objets-souvenirs offerts aux familles bienfaitrices par les prisonniers
Bref, il recueille assez de documents pour éditer trois livres sur le sujet. Dès le départ, il associe la communauté orthodoxe de l’Est de la France à sa démarche. Anatole Silbernagel, président de l’Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale de l’Est de la France se joint à lui avec Sylvstre Kisylenko. Claude Kucharczyk complète ce trio décidé. Tout un groupe se forme pour réclamer la réhabilitation du site.
2004 : Création de l’AFU.
L’AFU (Association pour la réhabilitation du charnier du BSJ) est officiellement créée en mars 2004. Anatole Silbernagel en assume la présidence, sous l’aura du Dr. Julien Schvartz qui assure la Présidence d’honneur jusqu’à son décès en décembre 2014. Parmi les objectifs affichés, figure la promotion du BSJ en lieu de mémoire, matérialisé par l’érection d’une nouvelle stèle. Les démarches vont durer huit ans, mais le 22 juin 2012, la nouvelle stèle est solennellement inaugurée.
Auparavant l’association avait tenu à se doter d’un drapeau .
En juin 2014, inauguration du chemin pédagogique qui permet d’accèder à la stèle sans se mettre dans l’illégalité. Des panneaux, enrichis de textes et de photos, présentent l’histoire du BSJ au visiteur isolé qui est ainsi initié à cette sombre période.
L’AFU, avec Bruno Doyen, son nouveau Président, ne recule devant aucun investissement pour une médiatisation maximale du site : Les livres de Gabriel Becker y contribuent largement. Mais il y a aussi les conférences sur le sujet prononcées dans les environs, l’accueil de groupes de marcheurs, l’accueil de descendants des victimes qui viennent de Russie, d’Ukraine, des Pays Baltes, du Belarus, la traditionnelle marche du BSJ.
Olivier Jarrige, journaliste bien connu du Républicain Lorrain, a commis un ouvrage qui fait référence sur la question : « Trou de Mémoire ». Le cinéma s’est emparé du sujet ! Dominique Hennequin de Metz a tourné un documentaire de 54 minutes sur la problématique des « Ostarbeiter » et le BSJ forme l’épine dorsale de son film où de nombreux témoins de la région ont été sollicités.
Il existe actuellement une véritable dynamique sur le sujet et l’AFU tient désormais à garder la flamme allumée.
L’AFU c’est
– un comité
– 223 membres… et le précieux concours de Madame Nadia Holowacz consul honoraire d’Ukraine à Metz.
Envoyé par Monsieur Stéphane MARCINKA adhérent de kla FNAPOG Moselle.
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