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Durant nos années d’amitié, Ghislaine GEELEN nous a souvent parlé de son père, ce père qu’elle n’a jamais connu, et qui n’a jamais su qu’il était père, arraché à la vie de manière cruelle alors qu’il était résistant en mission au sein du réseau SOE LABOURER dont le chef était Marcel LECCIA.

Ghislaine disait toujours qu’elle était « une vraie citoyenne européenne, née en Angleterre, d’un père belge et d’une mère française ». Ses parents, tous deux engagés dans la résistance, s’étaient connus Outre-Manche et mariés en février 1944.

Ghislaine nait à Nottingham le 23 août 1944. Ce jour-là, sa mère, Gisèle SAILLARD, née en avril 1907 à Pontarlier dans le Haut Doubs, met au monde deux petites filles, mais l’une d’elles, Mary, ne survivra qu’un jour. Les petites jumelles sont nées prématurément et Ghislaine passera les 2-3 premiers mois de sa vie en couveuse. Sa maman, seule en Angleterre, est en souci. Son mari, le lieutenant Pierre GEELEN, né à Rotem, Belgique en juin 1916, est parti de Londres début avril pour être parachuté en France avec deux autres officiers français. Leur mission  est risquée : ils doivent faire sauter l’Etat-Major de la Marine allemande à Angers et saboter le nœud ferroviaire de Saint-Pierre-Des-Corps en Indre et Loire.

Le 5 avril 1944, les trois officiers atterrissent sur la commune de Néret, au lieu-dit  Acre, au Sud-Est de Châteauroux. Pierre GEELEN est opérateur radio, il envoie le message suivant : « les trois anges veillent sur vous », pour signifier qu’ils sont sains et saufs. Accueillis et cachés par des habitants du village, ils tombent, fin avril 1944, dans le piège d’un « soit disant résistant qui arrive dans une belle voiture noire, leur dit qu’il va les conduire sur le lieu de leur mission, mais qui, en fait, les emmène à Paris et les livre à la Gestapo. » C’est ainsi que Ghislaine racontait l’arrestation de son père. D’abord torturés à la prison de Fresnes, les trois hommes sont ensuite déportés au camp de Buchenwald. Des années plus tard, Ghislaine apprendra qu’ils firent le voyage dans le même convoi que celui de Stéphane Hessel – qu’elle rencontrera enfin en octobre 2010 lors de la commémoration au camp où son père fut exécuté le 14 septembre 1944, soit 22 jours après la naissance des jumelles.

A Nottingham, Gisèle attend des nouvelles… Les semaines passent. Elle se doute bien que la mission a échoué mais espère le retour de son mari. Elle écrit des lettres à sa belle-famille en Belgique. Ghislaine pourra reconstituer des bribes de cette période et de l’angoisse grandissante de sa maman  à partir de cette correspondance avec la famille belge.

En octobre, Gisèle apprend que son mari « est porté disparu ». Cela ne veut pas forcément dire qu’il est mort. Elle se raccroche à l’espoir qu’il est quelque part, et qu’il reviendra. Sa petite Ghislaine lui donne la force de se battre et de faire face dans une Angleterre bombardée, détruite, pauvre.

Fin novembre 1944, une lettre officielle, écrite en anglais, et émanant des autorités militaires lui annonce que « son mari, Pierre GEELEN a été exécuté ».

Longtemps Ghislaine sera hantée par cette phrase en anglais « We are deeply sorry to announce that your husband was EXECUTED on September 14th, 1944, at Buchenwald ».

Selon certains documents, Pierre GEELEN a été pendu, dans d’autres, il a été fusillé. Sur la stèle qui commémore le parachutage et la mort de Pierre et de ses deux compagnons, on lit « fusillés » mais aussi « exécutés ».

Ghislaine est hantée par la manière dont son père est mort. Un jour, lors d’une de nos promenades au Parc de la Tête D’Or à Lyon, elle me confie qu’elle continue de se poser des questions. Entre temps, elle a appris que des officiers arrêtés en France et internés au camp de Buchenwald à l’été 44 sont morts pendus. Cette mort atroce a-t-elle été celle de son père ? Connaîtra- t-elle un jour la vérité ?

Le 10 octobre 2010, présente à la commémoration organisée au camp de Buchenwald, elle rencontre Stéphane HESSEL, prisonnier avec son père, rescapé parce qu’il parvint à s’échapper juste à temps. Il lui raconte la fin tragique des 16 officiers morts pour libérer la France de l’occupation Nazie.

« Votre père faisait partie du groupe. L’officier allemand en charge de notre exécution avait donné l’ordre de pendre chacun des hommes. C’était une mort indigne, abjecte, lente, douloureuse. Comme je parlais allemand, je suis allé voir cet officier allemand. Je lui ai dit que nous avions le même grade dans l’armée, qu’il n’aimerait sûrement pas mourir ainsi, et que s’il avait un peu d’humanité et de dignité, il devait ordonner de nous fusiller au lieu de nous pendre. » L’intervention de Stéphane Hessel permit aux derniers officiers d’être fusillés, et non pendus. Stéphane Hessel se souvenait « du Belge », mais pas de « Pierre GEELEN », car tous était connus sous un « petit nom », un nom de guerre, un nom d’emprunt, et il ne put dire de manière sûre si le père de Ghislaine avait été pendu ou fusillé. Combien de fois ai-je entendu Ghislaine dire « J’espère qu’il n’a pas été pendu ». A certains moments, Pierre GEELEN fut appelé GRINDER, mot anglais signifiant rémouleur.

Son épouse Gisèle resta en Grande-Bretagne quelques années encore après la fin de la guerre. Quand elle décida de revenir en France, Ghislaine avait 8-9 ans. Elle parlait couramment anglais mais n’était pas très à l’aise en Français. A l’école, les autres élèves se moquaient de son accent. Très pauvre, sa mère fut accueillie et logée pendant plusieurs mois par une dame qui avait un petit appartement dans le quartier d’Ainay à Lyon. C’était au début des années 50, en pleine crise du logement.

Petit à petit, à force de travail et de volonté, mère et fille purent s’insérer dans la société française. Gisèle travaillait, économisait sou après sou, pour que sa fille puisse aller au lycée. Pour Ghislaine, elle était ambitieuse. Aidée par un professeur qui avait remarqué son potentiel, Ghislaine obtint une bourse et fit de brillantes études de pharmacie. Plus tard elle travailla 2 années aux Etats-Unis avec la NASA sur le fonctionnement des reins chez les astronautes. Puis sa carrière la mena en Finlande pendant plusieurs années. Toute sa vie, Ghislaine fut reconnaissante à sa maman de lui avoir permis de faire de belles études.

A la mort de Gisèle, le 10 août 1992, à l’âge de 85 ans, une nouvelle épreuve attend Ghislaine : sa mère lui a demandé de disperser ses cendres (à l’époque, cela était possible) au pied de la stèle érigée à Acre, à la mémoire de Marcel LECCIA, le chef du groupe, et de ses deux camarades, Pierre GEELEN et Elisée ALLARD. Ghislaine accomplira cette dernière volonté dans la grande solitude d’un mois d’août où tous ses amis les plus proches étaient partis en vacances.

A son tour, Ghislaine s’est éteinte, le 21 août 2022, 2 jours avant l’anniversaire de ses 78 ans et 30 ans après le décès de sa mère.

Comme elle le disait souvent, « Un jour j’irai retrouver mon père au royaume des Cieux et je ferai enfin sa connaissance »

Chaque année, Ghislaine faisait le voyage de Lyon à Acre pour participer aux commémorations du 8 mai et pour se recueillir devant la stèle, entourée de ses amis de Néret et de tous ceux qui ont à cœur de faire vivre la mémoire de ces hommes courageux qui ont sacrifié leur vie pour nous permettre de vivre dans un pays libre et démocratique.

« Cette année, le 8 mai 2023, j’irai à Acre pour rencontrer cette famille de cœur qui continue d’honorer la mémoire de ces trois hommes arrachés à la vie dans leur jeunesse. Je penserai très fort à Pierre GEELEN, à son épouse, Gisèle, et à Ghislaine qui n’a pas eu la chance de connaître son père et qui a grandi seule avec sa mère, sans frère ni sœur. Tant de vies brisées par la guerre… »

Avec quelle délicatesse ,quelle élégance, Françoise Taillard retrace l’histoire de son Amie Ghislaine GEELEN, pupille de la Nation, orpheline d’un père résistant d’origine belge dont elle voudra connaître les circonstances de sa mort……..

Nous n’avons pas eu le plaisir de connaître Ghislaine et pourtant……nous faisons nôtre son histoire !

En parcourant ces lignes, nous vivons le désarroi, la solitude, la souffrance d’une orpheline et d’une veuve exilée à Londres dès son plus jeune âge à la suite de l’appel du Général de Gaulle.

Avec Françoise nous serons en pensée le 8 mai 2023 sur la route du château d’Acre, Cote 266 au pied de la stèle élevée à la mémoire des trois agents de la mission « Labourer » dont Pierre Geelen faisait partie.

Nous vous ferons vivre cet instant où grâce à des liens d’amitié indéfectibles, la mémoire de nos héros sort de l’anonymat, cette famille de cœur dont Ghislaine parlait, mais aussi grâce à Françoise qui a été touchée par la lecture de nos témoignages dans « le livre blanc »

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