Les frères BIELSKI ( version YAD VASHEM)
“Ne vous jetez pas dans la bataille pour mourir. Il reste si peu d’entre nous que nous devons sauver des vies. Il est plus important de sauver des Juifs que de tuer des Allemands”
Tuvia Bielski
Tuvia Bielski
Introduction
La première question qui vient à l’esprit quand on discute de la solidarité juive pendant l’Holocauste est : COMMENT ? cernés par l’humiliation, l’exploitation, les coups durs, les pertes et les morts, comment était-il possible à des gens de rester humains et de montrer de la solidarité pour d’autres êtres humains ? L’Holocauste a fortement éprouvé les normes, valeurs et relations sociales établies. Dans une réalité où chaque individu juif était soumis à la persécution et au meurtre, comment les gens ont-ils pu se tourner les uns vers les autres au lieu de se soucier uniquement de leur propre survie ? Il existe de nombreux exemples de juifs qui ont risqué leur vie pour sauver d’autres Juifs – soit spontanément en suivant leurs instincts au fur et à mesure des événements, ou par un processus réfléchi, impliquant souvent planification et valeurs idéologiques. Ces exemples montrent l’importance de la communauté et de la solidarité pour la survie d’un peuple, puisqu’elles ont aidé ce peuple à endurer les atrocités et les pertes. Une des histoires les plus admirables et extraordinaires est celle des frères BIELSKI, qui érigèrent un camp familial dans une forêt de Biélorussie occidentale et sauvèrent la vie à plus de 1200 Juifs. Cette histoire met en lumière l’importance de la solidarité humaine, qui resta possible malgré les atrocités environnantes.
Le début d’un groupe de résistants
“Il y avait quelque chose de familier dans cette forêt, et dans le pire des cas, nous pouvions toujours nous enfuir à travers les arbres”
Les 4 frères BIELSKI, Tuvia, Asael, Zusya and Aharon grandirent en Pologne de l’Est, aujourd’hui Biélorussie occidentale, qui avait été annexée par l’Union Soviétique en 1939. Ils habitaient le village de Stankiewicze3 situé entre les villes de Lida et Nowogródek. La famille était établie là depuis 3 générations. C’était la seule famille juive dans un village habité par 6 familles. Ils cultivaient la terre et possédaient un moulin. Leurs parents, David et Beila, avaient 12 enfants – 10 fils et donc 2 filles- Tuvia, le second, étant né en 1906.
En juin 1941, les troupes allemandes envahirent l’Union Soviétique. Elles fuirent suivies par les Einsatzgruppen, les escadrons de la mort, qui rassemblaient les Juifs, les assassinaient en masse, laissant des charniers, et envoyaient les populations restantes dans des ghettos.
Après que leurs parents et famille proche furent tués dans le massacre d’environ 5,000 Juifs le 8 décembre 1941, les frères BIELSKI se réfugièrent dans la forêt de Biélorussie et mirent sur pied un groupe de résistants avec Tuvia BIELSKI à sa tête. Pourtant, contrairement à d’autres groupes de résistants, combattre l’ennemi n’était pas leur objectif principal. Le leur était de sauver des Juifs et de leur offrir abri et protection dans la forêt. Les frères BIELSKI n’acceptaient pas seulement ceux en mesure de combattre mais tout Juif, homme femme ou enfant, sans distinction d’âge ou d’état de santé, combattant ou pas. Tuvia BIELSKI expliquait “qu’il préférait sauver une vieille femme juive que tuer 10 soldats allemands“
Pourtant, cela ne lui suffisait pas d’accueillir les Juifs qui se présentaient au camp.
“Nous ne pouvons pas juste nous cacher. Nous devons faire quelque chose pour notre peuple. Nous ne pouvons pas rester assis dans le bois et attendre que le loup vienne nous dévorer. Nous devons envoyer des gens dans les ghettos pour sauver des Juifs”.
Ainsi, des combattants furent envoyés dans les ghettos et les cachettes des villes de Nowogródek et Lida pour convaincre les gens de s’évader des ghettos et de rejoindre les frères BIELSKI dans la forêt.
Ceci ne fut pas tâche facile. De nombreux prisonniers des ghettos n’étaient pas volontaires pour partir. Contrairement aux frères BIELSKI qui étaient à l’aise dans la forêt, où ils avaient vécu presque toute leur vie, beaucoup de citadins n’imaginaient pas du tout vivre dans les bois. Ils se demandaient comment on pouvait vivre au milieu des arbres et des marécages, entourés d’animaux sauvages et de moustiques. Certains craignaient d’affronter les rudes hivers dans les bois, d’autres ne voulaient pas laisser leur famille derrière eux. Certains avaient peur de prendre un tel risque, d’autres croyaient qu’ils survivraient en continuant de travailler pour les Allemands. Ils pensaient aussi que plus aucun massacre n’aurait lieu, puisque la population restante était entièrement constituée de travailleurs qualifiés.
De plus, chaque personne qui s’évadait du ghetto mettait en danger les vies de ceux qui restaient. Certains craignaient la vengeance des Allemands encore plus que la faim et le froid des forêts. Ils ne pensaient pas non plus que combattre les Allemands pouvait changer le cours de l’histoire – que pouvaient bien faire quelques résistants contre une armée qui avait conquis l’Europe entière ?
En outre, Tuvia avait servi dans l’armée polonaise, et avait un entrainement militaire, alors que la plupart des gens des villes ne savaient pas se servir d’une arme. Ce n’était donc jamais une décision facile d’aller dans la forêt, pour combattre les Allemands, les résistants polonais et biélorusses et chercher de la nourriture.
Le Judenrat, conseil Juif, et la police Juive essayaient d’empêcher les évasions du ghetto. Ils craignaient que toute la population soit exécutée si un seul Juif manquait, parce que les Allemands punissaient de façon collective, non seulement ceux qui étaient pris tentant de s’échapper, mais aussi tous ceux qui habitaient le ghetto. Malgré ces craintes et menaces, des tentatives d’évasions avaient lieu fréquemment. Beaucoup en arrivaient à la conclusion qu’ils seraient tués de toute façon et préféraient choisir leur mort. Dans la forêt, au moins, les gens étaient libres et avaient une opportunité de résister, alors que dans les zones contrôlées par les Allemands, c’était impossible. Les frères BIELSKI avaient reçu des armes par un groupe de résistants russes et pouvaient donc se protéger eux-mêmes ainsi que les sans défense. Zorach ARLUK, qui fit partie d’un groupe de résistants russes, souligne :
“Si quelqu’un vous dit qu’il était animé par un sentiment de vengeance en rejoignant la résistance, c’est faux. Nous quittions tous le ghetto dans l’espoir de rester en vie. Nous espérions juste une chance. Et sans parler de survivre, nous voulions au moins mourir différemment de la façon dont la plupart des Juifs mouraient. Ne pas être abattu dans une tombe collective ni aller dans un camp de concentration. Je pense que ces motivations étaient similaires pour tous ceux qui fuyaient le ghetto. Ils ne s’échappaient pas pour se battre mais pour vivre.
Ceux qui avaient décidé de s’évader devaient se glisser à travers des clôtures, des trous, des tunnels et traverser la campagne à pied jusqu’au camp de la forêt.
Certaines personnes retrouvaient leur chemin dans la forêt. A cause du déplacement constant du groupe Bielski, en particulier la première année, des éclaireurs spéciaux étaient envoyés chercher les gens.
Mais pour beaucoup d’évadés, les maisons de paysans sympathisants servaient d’escale. Là, on leur donnait à manger et un endroit où se reposer avant que des membres du groupe Bielski viennent pour les mener au camp de base. Le groupe dépendait beaucoup de ses voisins bienveillants, sans qui ils n’auraient pu survivre. Ils aidaient le groupe de Juifs pour la nourriture, le renseignement, en passant des messages aux personnes cachées, ou dans les ghettos, et en cachant des fugitifs. Parmi ces voisins bienveillants se trouvait Konstantin KOZLOVSKIY, et ses fils Gennadiy et Vladimir, qui sauvèrent de nombreuses vies Juives. Ils reçurent le titre de Justes parmi les Nations.
Dans la forêt, les nouveaux arrivants devaient apprendre à s’adapter à leur nouvel environnement sauvage, ce qui était primordial pour leur survie.
Sulia RUBIN se souvient :
“C’était dur. Il était très difficile de s’y habituer, parce que c’était tellement différent d’un foyer protégé par de merveilleux parents… »
Pour d’autres, rejoindre le groupe BIELSKI symbolisait la liberté. Charles BEDZOW se souvient de la première fois qu’il vit Tuvia BIELSKI après s’être évadé du ghetto de Lida :
“Pour moi, il était le plus grand héros du monde. Après le ghetto et les tueries, après avoir vécu d’heure en heure sans savoir quand les Allemands nous emmèneraient, c’était incroyable. C’était la LIBERTE”.
Les Ghettos dans l’Europe occupée par les Nazis : 1939-1944.
Challenges et Dilemmes dans la Forêt
“Nous sommes venus ici dans la forêt, mes amis, pas pour boire, manger et nous amuser. Nous sommes venus ici, tous autant que nous sommes, pour rester en vie ».
Au fur et à mesure que le groupe Bielski grandissait, différents challenges et dilemmes se présentaient à eux.
La nécessité la plus pressante pour les fugitifs était de se procurer de quoi manger pour toute la communauté. Cela devint l’occupation principale. De jeunes hommes armés furent envoyés en petites troupes collecter de la nourriture chez les paysans. La difficulté était de savoir quel paysan était digne de confiance et qui pourrait et voudrait leur fournir de la nourriture. Les fermiers biélorusses devaient faire des efforts pour approvisionner les Allemands, et les résistants russes confisquaient également des victuailles pour leur propre compte.
Un résistant raconte :
“Un résistant était à la fois héros et voleur. Nous devions survivre et pour cela, priver les paysans de leurs maigres ressources. Les habitants locaux étaient ainsi punis par les Allemands et par nous-mêmes. Si au moins ils avaient tous été pro-Nazis, cela aurait été plus facile. Ce n’était généralement pas le cas. Nous prenions souvent de force à des paysans qui n’étaient même pas pro-Nazis”.
D’autres paysans refusaient de donner de la nourriture à des Juifs, et parfois même, informaient les autorités allemandes de la présence de résistants Juifs dans les forêts.
Protéger le camp contre les intrus et se défendre contre les Allemands et la police locale revêtaient la même importance. A cet effet, des membres du camp furent désignés comme gardes. Tous les adultes devaient prendre des tours de garde, sauf les malades, les handicapés et les personnes âgées. D’autres petites troupes étaient envoyées sur des missions dangereuses pour sauver des Juifs des ghettos. Pour protéger le camp et sauver des Juifs, les membres du groupe Bielski avaient besoin d’armes. D’autres groupes de résistants ou des paysans sympathisants leur en fournissaient, d’autres étaient obtenues en attaquant les troupes et avant-postes allemands.
Les terribles hivers biélorusses en forêt pouvaient être mortels, et un autre problème était d’empêcher les gens de mourir de froid, ainsi que soigner les membres du groupe. Une solution fut la construction de structures isolées. Les membres du groupe abattirent des arbres et creusèrent des trous, dont les toits étaient recouverts de terre mêlée de branches et de végétation de façon à les camoufler aux yeux d’éventuels intrus. Dans l’abri souterrain étaient alignées des couchettes en bois, recouvertes de paille. Au début 1943, le groupe était de 300 personnes, et de nouvelles couchettes furent construites. Tout près de ces couchettes étaient maintenus des feux de camp pour tenir chaud et cuisiner.
En plus de ces difficultés, le groupe devait aussi tenir ses positions dans la forêt contre les résistants non-juifs. De nombreux groupes de résistants russes s’étaient formés dans la zone, suite à la retraite rapide de l’Armée Rouge, face à l’attaque éclair inattendue des Allemands et leur avance rapide de 1941. Certains de ces groupes soviétiques avaient des soupçons à l’égard des résistants Bielski parce qu’ils étaient 100 % juifs avec beaucoup de non-combattants. Même si la coopération n’était pas toujours facile, les frères BIELSKI ont toujours travaillé avec les résistants russes contre les Allemands. Ils combinèrent leurs forces avec l’unité de Viktor PANCHENKOV, un soldat qui avait servi dans l’Armée Rouge et dont l’unité avait été écrasée lors de l’invasion nazie de 1941. Le groupe Bielski devint un participant officiel dans l’effort de guerre soviétique. Il résista à plusieurs tentatives de commandants soviétiques pour absorber le groupe, et il réussit à garder son intégrité en restant sous le commandement de Tuvia. Ceci permit au groupe de continuer leur mission d’origine : sauver des vies Juives.
En mars 1942, ils commencèrent leurs premières opérations contre les Nazis et leurs collaborateurs.
Au fur et à mesure que plus de Juifs rejoignaient le groupe, les frères BIELSKI devaient faire face à des problèmes et décisions internes. La difficulté était de faire face à ces oppositions et luttes internes tout en maintenant une structure de groupe. Ce dernier était constitué d’une variété de gens très différents de par leurs origines sociales mais aussi par leurs convictions religieuses et politiques.
Certaines personnes se plaignaient de la façon dont le groupe était dirigé, et s’opposaient au leadership des frères BIELSKI, d’autres se plaignaient, par exemple, de la façon dont la nourriture était répartie au sein des membres du groupe.
Malgré leur différence par rapport à la plupart des groupes de résistants, les frères maintinrent une discipline strictement militaire. Cette structure, avec le contrôle total des frères BIELSKI, réussit à garder le groupe uni, optimisant leurs chances de survie. Mais cela renforçait aussi l’importance des personnes impliquées dans les missions pour les vivres et le sabotage. Ces hommes, armés, jouissaient de privilèges tels que des repas et des logements améliorés.
Un autre problème était la question du nombre total de personnes autorisées à rejoindre le groupe. Combien pouvait-il accueillir de personnes incapables de combattre ou de travailler ?
Cela ne ferait qu’augmenter le fardeau sur les épaules des combattants armés responsables de la protection et des vivres pour la communauté, mais également le risque d’être découverts, au fur et à mesure que le groupe grandissait. Ce qui signifie qu’ils devaient se mettre encore plus en danger en traitant avec plus de paysans sympathisants. Malgré le fait que tout le monde ne partageait pas les vues de Tuvia BIELSKI, ce qui finissait souvent en conflit, il continua à accueillir toujours plus de Juifs.
Asaël Bielski
Protection contre les attaques des Allemands
“Que pourrons-nous faire avec si peu d’armes face à un ennemi si fort et dangereux ?”
Les ennemis les plus à craindre étaient les Allemands et la police locale.
En décembre 1942, les Allemands lancèrent la première de plusieurs offensives majeures dans la forêt et le groupe Bielski dut aborder le sujet de la protection. Les premiers mois, ils s’étaient déplacés constamment d’une forêt à l’autre. Pour faire face à des hivers plus que rigoureux, ils se mirent à construire des camps plus permanents, qu’ils devaient maintenant évacuer en cas d’attaque ennemie.
La première évacuation eut lieu en février 1943 lorsque des forces de police pro-nazies découvrirent le refuge des Bielski dans la forêt de Zabelovo3, grâce aux traces de sang d’un animal tué par les résistants. Après qu’un garde fut tué, un autre ouvrit le feu contre les policiers. Une évacuation immédiate fut ordonnée et les occupants du camp forestier furent forcés de s’enfoncer encore plus profondément dans la forêt. La base désertée de Zabelovo fut détruite et pillée par la police et les membres du camp éparpillés. Craignant une nouvelle attaque, le groupe décida de se relocaliser et en avril, ils s’installèrent à Stara-Huta3, une forêt proche du village natal des frères BIELSKI, Stankiewicze3.
Zusya et Sonia Bielski
La croissance rapide de la population du camp le rendit vite célèbre, créant de nouvelles inquiétudes pour la sécurité, et le groupe décida de changer à nouveau d’endroit. Le déménagement était déjà un problème en soi, et il était très dur pour certains membres – les vieux, les malades et les enfants – de se déplacer, et pour les autres, de les protéger.
Avant de pouvoir mettre leurs plans à exécution, ils furent pris par surprise quand une unité allemande se fraya un chemin dans la forêt en Juillet 1943. Les Allemands avaient lancé une nouvelle grande offensive : 52 000 soldats envoyés dans la forêt pour débusquer et liquider tous les résistants. Cette opération fut appelée “Hermann”. Les troupes allemandes encerclaient la forêt pendant que les avions de la Luftwaffe volaient en cercle tout autour.
Le groupe s’échappa, abandonnant tout ce qu’ils avaient pu rassembler au cours des mois précédents.
Ils se regroupèrent près de la rivière Neman3 puis décidèrent de se diriger vers Nalibokicommémoration3Puscha, environ 30 km à l’est de Nowogródek, une forêt remplie de marécages où il était très difficile de retrouver son chemin. Auparavant, ils étaient restés à proximité des villages, mais ils entraient maintenant dans un territoire extrêmement difficile à pénétrer. Le nouveau dilemme était de se déplacer vers un endroit où ils seraient plus en sécurité mais qu’ils connaissaient très mal. Pour ça, ils devaient quitter les forêts familières et les paysans et informateurs sympathisants. Dans une tentative désespérée de sauvetage, les frères BIELSKI menèrent les 800 et quelques membres du groupe à travers des kilomètres de marais dans un paysage isolé, du nom de Krasnaya Gorka3, en plein milieu de la forêt.
Tuvia Bielski décrit :
“On portait les enfants sur nos épaules. Les gens avec des enfants marchaient à l’avant. Le marécage commençait à quelques centaines de mètres de notre camp. Il devenait plus profond à mesure que nous avancions. La boue s’épaississait et collait partout, mais au moins nous ne craignions pas de rencontrer qui que ce soit dans ces marais. Les plus forts d’entre nous et ceux qui portaient des armes fermaient la marche. A certains endroits nous nous enfoncions jusqu’au nombril, heureusement pas sur de longues distances. Nous pûmes finalement traverser, au prix d’un suprême effort. L’eau devenait moins profonde. Après chaque endroit profond, nous devions nous arrêter pour vérifier que tout le monde avait pu traverser. Nous progressions très lentement dans l’eau et la boue, il nous fallait 3 h pour faire environ 3 km.”
Chaja BIELSKI, l’épouse d’Asaël Bielski, se souvient:
“Plus nous avancions, plus la boue était épaisse. Ma mère s’affaiblissait, elle ne pouvait plus bouger les jambes. La boue lui arrivait aux hanches. Mon frère l’attacha à lui avec une corde, la tirant derrière lui. Nous marchâmes et marchâmes, mais nous étions toujours trop près du camp. La boue recouvrait une large zone, les roseaux y étaient très hauts. Quand on enfonce une jambe dans la vase il est très difficile d’en sortir la seconde. Mais si des centaines de gens y entrent en même temps, alors chacun s’enfonce encore plus.”
Le groupe souffrait de la faim et d’épuisement depuis environ deux semaines, mais ils réussirent à survivre. Ce fut une des plus grandes évasions de la seconde guerre mondiale.
Peu après la grande évasion, les Allemands quittèrent la forêt Biélorusse. Le groupe des Bielski trouva un nouvel endroit dans la forêt, où ils construisirent un village juif. Dans ce havre, les Juifs pouvaient vivre en liberté au milieu de l’Europe occupée par les Nazis. La forêt devint un endroit, non plus synonyme de mort pour les Juifs, mais de vie.
La création d’une communauté Juive dans la forêt
“Ça ressemblait à un rêve d’un autre monde”
Asaël et Chaja Bielski
Le groupe des Bielski était composé de nombreux individus qui avaient pu échapper aux ghettos, aux exécutions collectives et aux camps de travail. Ils se retrouvèrent tous dans un endroit où les gens pouvaient vivre dans de relatives liberté et sécurité – le seul endroit avec la dernière concentration de Juifs vivant libres dans la région. Ceux qui avaient atteint le camp étaient passé par de multiples malheurs, avaient perdu leurs maisons, leurs communautés et membres de leur famille. Pour préserver leur part d’humanité, plutôt que de simplement survivre, ils mirent de suite sur pied différents types de vie communautaire. Après la grande chasse en 1943, leur base prit la forme d’un shtetl (bourg en yiddish) forestier. Pour la première fois, ils n’avaient pas besoin de se soucier constamment d’être attaqués par les troupes allemandes. Cette stabilité permit aux membres du groupe de continuer de vivre à la manière juive, quelque chose que les Nazis avaient essayé et plus ou moins réussi à détruire dans toute l’Europe.
Hanan LEFKOKOWITZ, membre d’un groupe de résistants russes, se rappelle les visites au camp de la famille Bielski :
“J’étais stupéfait. Je me croyais dans un rêve. Je ne m’en remettais pas … il y avait des enfants, des personnes âgées, tous Juifs. Quand les gardes m’ont arrêté à l’entrée, je leur ai parlé en yiddish, puis j’ai rencontré des gens que je connaissais. Cette première fois, je n’ai pu rester qu’une heure. Quelques jours après, j’y suis retourné, puis d’autres fois. Celà me donnait de l’espoir.”
Le groupe était important et hétérogène, avec des exigences et des attentes variées. Il y avait des gens avec des opinions politiques, des gens sans instruction et d’autres de classes sociales élevées. Seulement 20 pour cent étaient des combattants, la majorité étant des personnes âgées ou des malades, des enfants et des femmes.
Le camp Bielski passa par plusieurs phases de développement. Pourtant, certaines convenances sociales basiques perdurèrent tout au long de son existence.
Une de ces règles était que Tuvia, en tant que commandant, était celui qui prenait les décisions. Un autre arrangement était l’inversion des classes sociales : la classe ouvrière, avec ses combattants et ses travailleurs qualifiés, était celle qui avait le plus de privilèges, parce qu’elle était fondamentale pour la survie du groupe.
Plusieurs règles régissaient l’organisation du camp. L’une d’entre elles était que tout le monde avait droit à 3 repas par jour, peu importe son niveau de contribution à la vie du camp.
Néanmoins, les combattants bénéficiaient souvent de passe-droits et privilèges.
La plupart des femmes étaient exclues des expéditions pour chercher de la nourriture et des missions de résistance, et on les dissuadait fortement de porter des armes. Certaines se plaignaient de cette entente et faisaient des pieds et des mains pour faire partie d’une troupe de combat.
Tous les membres avaient droit à tous les services gratuitement, comme la réparation de chaussures. Seules les transactions avec les autres résistants étaient payantes. Toutes les valeurs, comme la nourriture, les médicaments et les armes appartenaient au camp entier et non pas à une seule personne ou catégorie.
Alors que tous les hommes armés continuaient à procurer de la nourriture et à protéger le camp, ceux qui ne combattaient pas s’engagèrent dans toutes sortes de professions utiles.
Ceux qui avaient un métier continuaient à le pratiquer, ils étaient divisés en différentes équipes. Une équipe chargée de la construction fouillait les villages désertés pour trouver des matériaux de construction et des ustensiles de cuisine. Les charpentiers organisaient la construction des logements et bâtiments à usage d’ateliers. Les cordonniers réparaient les chaussures et les selles à l’aide d’outils donnés par les paysans, les tailleurs raccommodaient les vêtements, les ferronniers remettaient en état les armes endommagées et les coiffeurs coupaient les cheveux de tout le monde. Le camp possédait une cuisine commune avec un cuisinier dédié. D’autres non-combattants comme médecins et infirmières soignaient les malades et les blessés.
En plus des ateliers, d’autres institutions de la vie commune comme des sanitaires communs, une boulangerie, un puits, un moulin et deux dispensaires furent créés, et même un cimetière et une prison. La prison servait à punir ceux qui ne suivaient pas les ordres ou les lois. Shmuel GELER se souvient d’un épisode embarrassant, lorsque sa femme et lui furent emprisonnés 3 jours pour avoir volé pendant leur tour de garde :
“Tout était tranquille. On entendait des vaches faire des “meuh” endormis. Nous avions entre 30 et 40 vaches. On gardait le lait pour les enfants. […].ma femme et moi n’avions pas bu de lait depuis des mois, je ressentis une irrépressible envie de goûter ce lait, qui prit le dessus sur tous mes autres sens. Sans plus réfléchir, je pris un petit pot et me mis à traire une vache […].Ma femme et moi essayâmes de décider que faire des 2 ou 3 verres de lait obtenus. Nous pensions le faire chauffer pour le boire […] Mais la visite de deux superviseurs mit fin à nos somptueux projets ! Ils remarquèrent le pot et le lait […]. A 10 h du matin, on nous ordonna de nous présenter au Poste de Commandement. J’avais honte de regarder le commandant dans les yeux. Tuvia Bielski nous avait jusque-là traités avec considération. Nous nous tenions là, défaits. Les yeux baissés, je répondis aux questions de Tuvia. ‘Est-il vrai que les superviseurs ont trouvé du lait à l’endroit que vous deviez garder ?’ – ‘Oui, Commandant’ – ‘Aviez-vous la permission de traire les vaches ??’ – ‘Non.’ La honte me brûlait le visage. Autour de nous se tenaient toutes sortes de gens. Bielski aussi était embarrassé par toute cette affaire. Il nous connaissait bien, il savait quelle sorte de criminels se tenaient devant lui. Pourtant, d’une voix qui ne tremblait pas, il rendit son verdict : ’Trois jours d’emprisonnement.’ Deux gardes nous emmenèrent sur-le-champ à la prison “
Cet incident montre à quel point les crimes – peu importe leur importance – étaient punissables, garantissant ainsi le maintien de l’ordre et de la moralité dans la micro-société du camp.
Il y avait même une école dans laquelle les enseignants occupaient les enfants et jouaient même avec eux. La synagogue était un endroit où on entretenait le moral des gens et la vie spirituelle et religieuse. Les offices étaient menés avec des livres de prière dérobés dans les ghettos.
Il y avait des gens religieux et d’autres laïques, mais un sentiment profondément juif animait le cœur de la communauté.
“Pendant le Pessa’h1, nous préparions du pain azyme pour ceux qui en voulaient. La plupart préféraient leur viande casher. Avraham Shmuel KAIBOVITZ, érudit de la Yeshiva de la ville de Mir, fut nommé pour faire observer les lois du kashrout2. Ceux qui voulaient observer le Shabbat étaient également exemptés de leurs tâches, et dans la plupart des cas leurs demandes étaient accordées, bien qu’il n’y ait aucune raison officielle à cela.”
Sur la “place du village”, des réunions étaient tenues, et les jours fériés ainsi que toutes occasions festives étaient célébrés. Un théâtre fut créé pour maintenir le moral de la population grâce au divertissement. Des résistants russes étaient parfois invités à des spectacles.
Sulia Rubin se souvient :
“Les pièces parlaient généralement de la libération, des combats, et d’amour. Je jouais du Shakespeare, mais qui s’en souciait ? Nous faisions de tout. Nous chantions des chansons, des chansons russes. Nous jouions de l’accordéon, parfois des cuillères et des sifflets. Nous fabriquions des flûtes en bois ! Nous racontions des blagues. Des fois, le spectacle était assuré par des visiteurs, vu qu’il y avait énormément de gens talentueux parmi les Russes. Ils avaient de belles voix et connaissaient beaucoup de chansons. Ils avaient besoin de rire et nous aussi.”
Le camp possédait même un historien, Shmuel AMARANT, qui était en charge de collecter des renseignements sur la vie du ghetto et de la forêt
Au moment où l’Armée Rouge libéra la zone en juillet 1944, le camp comptait 1200 membres, ce qui en faisait le plus grand groupe résistant de l’Union Soviétique et des territoires occupés par les Allemands. Ce fut l’un des plus importants sauvetages de Juifs, par des Juifs, de toute la seconde guerre mondiale.
Camp de la famille Bielski : Yehuda Bielski, deuxième rang assis à droite
Tuvia et Lilka Bielski
Conclusion
Cette histoire absolument extraordinaire met en lumière l’importance de la solidarité humaine, qui est restée possible, au cœur même des pires atrocités. Non seulement les frères BIELSKI ont aidé des Juifs à survivre, mais ils leur ont aussi fourni un havre de sécurité et de liberté au milieu d’une Europe en pleine destruction. Même si ce secours aux Juifs est parti d’un acte spontané, il s’est rapidement transformé en sauvetage planifié et organisé de 1200 personnes. Les responsables de ce salut étaient conduits par leur idéologie, par l’idée « qu’il est plus important de sauver des Juifs que de tuer des Allemands ».
La survie ne fut pas juste physique mais également spirituelle, de façon à maintenir l’humanité, la moralité et le style de vie des Juifs. La vie en communauté qui fut construite par les membres du camp Bielski montre l’importance de la communauté et de la solidarité pour la survie mentale et spirituelle des humains.
Texte intégral traduit de l’anglais par Tristan PASSEPONT d’après un récit « Solidarity in the forest » (The bielski brothers) de Franziska Reiniger, membre « d’International School For Holocaust ».
Notes :
1°) Pessa’h : Pâques juive, commémoration du peuple juif sortant d’Egypte.
2°) Kashrout : code alimentaire de la religion juive.
3°) voir la carte : zone d’opérations du camp des Bielski.
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