Pierre Simonet, l’un des trois derniers compagnons de la Libération, est mort à 99 ans
Engagé dès juin 1940 dans les Forces françaises libres au côté du général de Gaulle, combattant de Bir Hakeim en 1942, il s’était ensuite mis au service de plusieurs institutions internationales.
A Toulon, la maison de Pierre Simonet, dont les fenêtres ouvraient sur le mont Faron, racontait une vie hors norme qui vient de s’achever, jeudi 5 novembre à l’âge de 99 ans. Le décor faisait voyager le visiteur d’Asie en Afrique, bien plus que les phrases parcimonieuses, pudiques, de l’hôte, qui buvait son thé et racontait sa vie par courtes lampées. « On n’aime pas les grands mots dans la famille », s’excusait-il. Le récit était ponctué de longs silences qui en disaient bien plus. Les pensées semblaient alors s’évader vers un ailleurs sans doute indescriptible à qui ne l’avait pas connu.
Comment raconter cette guerre qui l’a trimbalé à travers la moitié de la terre ? Comment décrire, par exemple, la guerre de hasard, de maraude dans le désert libyen, où l’on pouvait être tour à tour chasseur et proie ? Comment raconter la bataille de Bir Hakeim et sa pluie d’acier ? Et la Syrie avec ces journées exténuées de chaleur ? Et l’Italie ? Et la libération de la France ? Comment ?
Pierre Simonet est né le 27 octobre 1921 à Hanoï, dans ce qui était alors le Tonkin français. Il garda toute sa vie comme une part de lui-même ce pays d’enfance, rempli de jeux innocents, d’odeurs capiteuses et de fruits sucrés, vision de Cocagne oublieuse des réalités de la colonisation.
Il avait reçu en héritage cet amour de l’Orient : polytechnicien, ingénieur des chemins de fer puis des travaux publics, son père avait été attiré vers ce lointain et son parfum d’aventure dès 1910. En héritage aussi, ce patriotisme, cette vénération de la France que la distance rendait plus grande encore aux yeux de l’enfant. Pierre ne cessa de faire l’aller-retour entre la colonie et la métropole, dans les bagages de ce père voyageur. Il n’avait pas 20 ans qu’il avait déjà fait cinq traversées maritimes entre Saïgon et Marseille. Paré dès le plus jeune âge pour une vie de bourlingue.
« La garnison de Dakar pensait comme beaucoup de Français qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’écouter Pétain »
Il a 18 ans, est en maths sup au lycée Montaigne, à Bordeaux, quand la guerre éclate. Autour de lui, les taupins exaltent avec grandiloquence leur foi en la France dans les premiers jours des combats. Mais cet enthousiasme juvénile se consume bien vite dans l’implacable défaite. Pierre déjeune, le 17 juin, quand il entend à la radio Pétain demander de cesser le combat. Quelque chose en lui s’y refuse, le pousse à la révolte. « Je ne peux pas, je ne peux pas accepter ça », lance-t-il. Il quitte aussitôt la table familiale et se met en quête de ses camarades. Il ne rencontre qu’apathie et abattement de la part de ces êtres hier si bravaches.
Lui ne renonce pas. Le 19, il entend parler d’un général qui appelle depuis Londres à poursuivre le combat. Il part avec deux valises. Dans l’une d’elles, il emporte les lettres de Luce, sa fiancée, restée en Indochine. Il essaye d’abord de passer par l’Espagne, arrive finalement à Saint-Jean-de-Luz, où il embarque sur un cargo avec les troupes polonaises en retraite. Pour passer le cordon de gendarmes qui empêche les civils de monter à bord, il revêt comme déguisement une capote militaire polonaise et profite de la confusion sur les quais.
Arrivé en Angleterre, il s’engage dans les troupes de la France libre et commence sa formation militaire. Le matheux est versé dans l’artillerie. Il participe en septembre 1940 à la calamiteuse expédition de Dakar. La tentative de débarquement de Charles de Gaulle, qui veut rallier l’Afrique occidentale française à sa cause, tourne au fiasco. « La garnison de Dakar pensait comme beaucoup de Français qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’écouter Pétain », se souvenait Pierre Simonet.
Après avoir parfait sa formation militaire à Pointe-Noire, dans l’actuelle République du Congo, il embarque pour la Palestine. De là, les troupes de la France libre lancent, en juin 1941, une offensive sur la Syrie, dont l’administration s’est ralliée à Vichy. Ces combats fratricides laissent au jeune Simonet un goût amer. Les premiers camarades qu’il voit mourir sont tués par d’autres Français.
L’épreuve de Bir Hakeim
Un répit et, en 1942, Pierre Simonet repart à 1 500 kilomètres de là, dans le désert libyen, où les Anglais tentent de stopper l’avancée des troupes de Rommel. Avec 3 700 autres Français sous le commandement de Pierre Kœnig, il s’enterre au cœur du désert, dans un camp retranché qui porte le nom d’un puits depuis longtemps desséché, Bir Hakeim, avec ordre de retarder la marche en avant des Allemands et des Italiens. On y trompe l’ennui en lançant des patrouilles à travers l’immensité, à la recherche des avant-gardes ennemies. Dans cet océan de sable, il y a là de la flibuste, du combat naval.
Mais, le 27 mai, soixante-dix chars italiens de la division Ariete attaquent le camp retranché et sont aussitôt défaits. Ils sont bientôt rejoints par les chars de l’Afrikakorps. Encerclés, coupés de tout ravitaillement extérieur, les Français résistent pendant plusieurs jours, bien au-delà de ce qui leur était demandé par l’état-major anglais, concentrant sur leurs réduits les forces ennemies. Ils subissent les vagues d’assaut, les pilonnages des canons de 88 et les incessants raids aériens de la Luftwaffe, qui lancera jusqu’à trois vagues de 80 avions par jour.
Terré dans son abri, un observatoire avancé ceinturé d’un champ de mines, tenaillé par la soif, Pierre Simonet commande par radio la réplique des canons français. S’il racontait le fracas des armes et le silence des morts, il se souvenait aussi du goût de cette bouteille de bière chauffée par le soleil, miraculeusement sauvée par un officier et partagée avec les blessés, au soir d’une journée particulièrement meurtrière.
A l’arrière d’un Piper Cub, frêle coucou de 450 kg, il survole le front en rase-mottes et, par radio, renseigne du ciel l’artillerie sur les positions ennemies
A court de munitions et de vivres, ayant tenu plus que le temps demandé, les Français décident une sortie dans la nuit du 10 au 11 juin à travers les lignes ennemies. Simonet traverse indemne la mitraille dans un pick-up bientôt criblé de balles et rejoint les lignes anglaises. Il retrouve son supérieur, qui l’accueille d’un : « Alors, p’tite tête, tu t’en es sorti ! » Il est le plus jeune des survivants. A ce titre, il aura quelques jours plus tard, lors d’une cérémonie d’hommage aux morts, la pénible tâche de citer à voix haute la longue liste de tous ceux qui n’eurent pas la même chance.
Les rescapés viennent d’écrire une grande page de l’histoire de la France libre et de donner à de Gaulle une légitimité supplémentaire auprès des Alliés. Après quelques semaines de repos près du Caire, Pierre Simonet se retrouve impliqué dans les combats qui, autour d’El Alamein, brisent définitivement l’avancée allemande et inversent le rapport de force. Poursuivant les armées de Rommel qui battent en retraite, il participe à la campagne de Tunisie. Puis il débarque en Italie, en avril 1944.
Il est alors affecté au peloton d’observation aérienne. A l’arrière d’un Piper Cub, frêle coucou de 450 kg, il survole le front en rase-mottes et, par radio, renseigne du ciel l’artillerie sur les positions ennemies. Lors d’une sortie, l’observateur revient avec deux impacts de balle fichés dans le cockpit de chaque côté de sa tête. Il arrive à Rome, y reconnaît les descriptions enamourées que lui en avait faites un professeur d’Hanoï.
Des missions pour l’ONU
En août 1944, il participe au débarquement de Provence qu’il suit du ciel. Il survole, écœuré, la rade de Toulon où l’amirauté a préféré saborder plus de cent bateaux, en novembre 1942, après l’invasion allemande de la zone libre, plutôt que de s’enfuir et de combattre. Pierre Simonet ne sait pas encore qu’il s’installera dans cette ville, à l’heure de la retraite, en 1985. Il y mènera d’interminables et passionnées discussions avec ses amis officiers de la Royale, leur reprochant la coupable attitude de la marine pendant toute la guerre.
Pour l’heure, Pierre Simonet accompagne dans son Piper Cub l’avancée de la 1re division française libre jusqu’en Alsace. Il survole les cathédrales dont les cloches sonnent parfois à toute volée la libération. Posé à terre, il découvre la réalité de ce que fut la France sous l’Occupation, les restrictions, les lâchetés, les actes d’héroïsme aussi. Il assiste aux règlements de comptes, menés par des résistants, bien souvent de la vingt-cinquième heure. Après 137 missions et 250 heures de vol, il est à Paris quand arrive la nouvelle de la capitulation allemande.
« J’ai fait mon devoir »
Pierre Simonet repart presque aussitôt en Indochine. A Saïgon, il retrouve Luce, avec qui il n’a pu échanger qu’une seule lettre, via la Croix-Rouge, en cinq ans de guerre. Il se marie. Il apprend là-bas qu’il a été désigné compagnon de la Libération. Il devient administrateur de la France d’outre-mer en Afrique. Mais il sait bien, depuis son retour en Indochine, où la guerre d’indépendance couve, que le sens de l’histoire plaide pour la fin de l’empire français.
Un autre ordre mondial se dessine, auquel il contribue. Il travaille pour des organisations internationales : ONU, OCDE, FMI, qui le conduisent à poursuivre sa baguenaude à travers le globe. Il est ainsi à New York, en avril 1968, quand Martin Luther King est assassiné et se souvient de ces heures gorgées d’émotion et de colère.
Dans ses nouvelles fonctions, il croise de Gaulle à plusieurs reprises. Mais il ne retrouve pas l’émotion ressentie chaque fois qu’il l’avait rencontré pendant la guerre, à Londres, au large de Dakar ou en Syrie. Il préférait le rebelle au souverain. L’homme a changé, les temps aussi : Pierre Simonet leur trouve moins de grandeur, moins d’âme. De cette vie dont il ne semblait pas mesurer la portée, il ne retirera au final qu’une seule satisfaction, susurrée du bout des lèvres : « J’ai la fierté d’avoir fait mon devoir. »
- Dates
1921 Naissance, le 27 octobre, à Hanoï
1942 Bataille de Bir Hakeim, du 27 mai au 11 juin
1945 Compagnon de la Libération
5 novembre 2020 Mort à 99 ans
Benoît Hopquin « extrait de l’article du Journal le Monde »
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