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MEDIAPART

Quand les Français rechignaient à aider les orphelins de guerre

par Vincent Beghin

Tous les deux mois, la Chambre syndicale française des Négociants et Experts en Philatélie (C.N.E.P.), décrypte le résultat atteint par une pièce philatélique dans une vente aux enchères. Ce mois-ci, gros plan sur l’une des séries de timbres les plus connues par les philatélistes français : celle émise au profit des orphelins de la Première Guerre mondiale en 1917-1918.

Un coup d’épée dans l’eau. Voici comment on peut résumer l’histoire de la série des « Orphelins de guerre ». A l’origine de cette émission, se trouve une démarche pleine d’altruisme : venir en aide aux nombreux enfants dont le père est mort pour la France. En pratique, l’idée est d’émettre des timbres avec une surtaxe, c’est-à-dire des timbres que les usagers paieront plus cher que leur valeur d’affranchissement, puis de reverser la différence à un organisme de bienfaisance (en l’occurrence, le Comité de la Journée nationale des Orphelins de guerre). En France, c’est l’une des toutes premières fois qu’un tel dispositif est mis en place.

Le décret portant création des timbres paraît au Journal Officiel le 22 octobre 1916 et les figurines en elles-mêmes arrivent en bureau de poste quelques mois plus tard, en août 1917 (à l’exception du 5 centimes + 5 centimes, qui ne sera émis qu’en 1919). Mais, très vite, la déception est au rendez-vous : le grand public, en effet, boude l’émission et les chiffres de vente sont bien en deçà de ce que l’administration postale escomptait.

Pourquoi cette déconvenue ? Tout d’abord, en raison du montant des surtaxes (+ 100 %), qui est trop élevé : même pour une bonne cause, les Français ne sont pas prêts à payer un timbre deux fois sa valeur d’affranchissement. Par ailleurs, les timbres sont jugés tristes : il faut dire en effet que certains des sujets choisis (une veuve en grand deuil ou encore une tranchée déserte) ne portent guère à sourire. Dans ce contexte, les timbres sont retirés de la vente, puis démonétisés le 31 octobre 1922.

Série complète avec charnières adjugée à 978 euros (frais compris) par Ivoire Nîmes le 6 février 2020 à Nîmes.

Boudés il y a un siècle, ces timbres font aujourd’hui rêver les philatélistes. En particulier la « forte valeur » de la série, le 5 f. + 5 f. de couleur bleue représentant la Marseillaise (le bas-relief de Rude ornant l’un des pieds de l’Arc de Triomphe), qui manque dans la plupart des collections. C’est ce qui explique le prix de 978 euros (frais compris) atteint par une série complète avec charnières*, proposée le 6 février dernier par la maison de ventes Ivoire Nîmes. Et encore le 5 f. + 5 f. n’était pas parfaitement centré (un détail esthétique auquel les philatélistes sont très sensibles) : dans le cas contraire, les enchères auraient largement dépassé le seuil des 1 000 euros.

*Les charnières sont les languettes apposées au dos des timbres qui servaient, jusque dans les années 1960, à coller les timbres dans les albums. Un timbre avec trace de charnière au verso est considéré comme présentant un défaut et perd donc une partie de sa valeur.

 

 

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