Voyons d’abord la carte ci-contre pour situer le chemin des Emérillons : (du fleuve le Maroni, commune de Maripasoula jusqu’à l’Amazone, commune de Camopi)
C’est du Suriname au Brésil dans le parc amazonien de Guyane que se trouve ce sentier historique des Emérillons qui joint les bassins du Maroni et de l’Oyapock traversant la Guyane d’Ouest en Est, parcouru pendant des siècles par les amérindiens Teko, Wayampi et Wayana pour des échanges commerciaux et culturels.
On y longe les monts Tumuc-Humac dont la zone sur le terrain est une succession de collines enchevêtrées sur une largeur de 150 à 200 kilomètres et qui ne s’élèvent qu’à l’Ouest et ne dépassent pas plus de 600 mètres d’altitude au niveau des inselbergs du massif du Mitaraka à proximité du tripoint des 3 pays.
Photo de droite, c’est Raymond Maufrais qui veut découvrir ce chemin connu que des Indiens :
Né le 1er octobre 1926 à Toulon, fils unique, il est l’objet d’un grand attachement de ses parents qui sont obligés de le mettre en pensionnat où alors qu’il n’a pas encore 9 ans, il saute le mur avec 2 de ses camarades à qui il a vanté les lointaines colonies françaises comme étant le paradis terrestre et ils disparaissent dans la région boisée et vallonnée du haut Var. Recherchés, la Gendarmerie les découvrent le 4ème jours, dans une grotte, ils croyaient arriver dans une colonie en marchant vers la montagne..
Il continue ses études, n’est pas brillant élève mais excellent en littérature française, son professeur remarque très vite ses dons d’écrivain, notamment ses descriptions précises de situations. Puis, c’est le scoutisme chez les éclaireurs de France de Toulon où excellent nageur, plongeur intrépide, il obtient son brevet de nageur-sauveteur. Il rêve d’aventure, de découvrir le monde, de l’explorer. Il dit à sa mère qu’il ira au Brésil, au Mato-Grosso où plusieurs expéditions ont échouées.
En 1942, il écoute les émissions de la BBC, à l’âge de 16 ans et demi, il essaye de gagner Londres mais il ne peut embarquer, contraint de revenir à Toulon pour poursuivre ses études, il préfère rejoindre le maquis à la stagnation scolaire. Il participe avec son père à la libération de sa ville, il est nommé sergent FFI, s’illustre à plusieurs reprises, cité à l’ordre de la brigade et décoré devant les troupes de la croix de guerre avec étoile de bronze et de la médaille de la reconnaissance française, il n’a que 17 ans et demi. Après la libération de Toulon il entend mener une vie active et il s’engage dans l’armée, d’abord comme correspondant de guerre puis comme parachutiste. Démobilisé, il va d’abord faire quelques reportages en Corse, en Italie et le long de la côte d’Azur.
Et c’est en Juillet 1946 qu’il embarque pour le Brésil où il est admis au sein de l’expédition Francisco Meirelles pour une mission de pacification auprès des Indiens Chavantes, appelés « les tueurs du Mato–Grosso » et réputés hostiles aux blancs. Après avoir parcouru à cheval, en pirogue et à pied, 1 800 kms de rivières puis 900 de pampas et de forêt, la mission arrive au cœur du Mato-Grosso où elle débouche sur une clairière du Sierra do Roncador. Elle découvre les restes de l’expédition disparue de Pimentel Barbosa, dont tous les membres ont été tués par les Chavantes. Assaillie par un tir de flèches d’Indiens, l’expédition doit reculer, puis fuir, abandonnant derrière elle un de ses hommes tué par une flèche dans le cou. Le retour est particulièrement pénible, la troupe déçue, souffre de la faim et de la soif. Maufrais en tire un livre qui ne sera publié qu’après sa disparition (aventure au Moto-Grosso).
En 1947, le jeune aventurier revient en France où il donne des conférences sur le Mato-Grosso à Toulon, autres villes et à l’étranger. Puis il annonce son projet de relier la Guyane française au Brésil par les monts du Tumuc-Humac et redescendre le Rio Jary Jusqu’à la ville de Bélem, à pied et seul. Il veut faire la lumière sur certains Indiens qui seraient grand, blond et vivraient à l’âge de la pierre.
Le 17 juin 1949, il embarque sur le Gascogne où sur le quai, son père lui promet (si tu n’es pas de retour dans 6 mois, j’irai te chercher).
Il débarque à Cayenne où d’abord il fait des reportages sur la vie quotidienne des lépreux de l’Acarouany, des bagnards libérés, des Indiens Galibis et des chercheurs d’or avec ci-dessous quelques images de l’époque :
Léproserie de l’Acarouany
bagnard libéré
les Indiens Galibis
chercheur d’or
Enfin, le 25 octobre il arrive à Maripasoula avec son chien Bobby où il va rester 3 semaines pour se préparer en attendant que l’occasion se présente pour poursuivre son aventure.
Il confie à un ami : « de temps en temps la peur me pénètre et me fait réfléchir aux conséquences de ce que je vais entreprendre. Ce sera soit l’échec, c’est-à-dire la mort, soit la réussite. Pas de demi-mesure ! aller droit de l’avant et demeurer courageux, garder mon sang froid en toute occasion et veiller au moral ».
Préparatif pour le départ
photo avec une jeune indienne
un carbet de passage dans la commune
Profitons d’être à Maripasoula, commune de 18 360 km2, 12 000 habitants actuellement, environ 600 en 1961 année où à 23 ans, André Cognat (qui va connaître un autre destin), ouvrier métallurgiste lyonnais, qui lit de nombreux reportages sur l’Amazonie (peut-être celui de Maufrais) décide de tout plaquer et de se rendre en Guyane.
Il fait naufrage dans un rapide de la rivière Itany qui emporte tous ses bagages, sauvé par un chef indien Wayana, Malavate qui est devenu son père de la forêt. Il est adopté par ses frères indiens du village Antécume-Pata où il apprend le mode de vie et les traditions ancestrales, il épouse en 1973, Alasawani, fille de son sauveur et en 1985 il devient le chef du village à la mort de Malavate.
Quant il a quitté Lyon, il s’était donné 1 an avant de rentrer ! Il est devenu et fervent défenseur des peuples indigènes de Guyane.
Je l’ai rencontré au cours de missions dans l’exercice de mon travail entre 1981 et 1983.
Dégrad de Maripasoula
Antécume-Pata
André Cognat et un Wayana
femme et enfant
Revenons à Raymond Maufrais :
Le 14 novembre, il part avec un gendarme jusqu’au poste de Grigel, ancien village de mineurs où on lui fait don d’une pirogue abandonnée presque inutilisable. Il emporte peu de vivres comptant de se nourrir des produits de sa pêche et de sa chasse.
Il quitte ce poste le lendemain avec la pirogue pour une première halte, au début de la nuit où il tend son hamac entre deux arbres.
S’engage le lendemain seul sur la piste, sac au dos, carabine à la main avec son chien Bobby à ses côtés.
Il tient quotidiennement à jour son carnet de route, exprimant ses états d’âme, ses difficultés, ses espoirs, ses angoisses.
Son calvaire commence, il se foule une cheville, ne trouve pratiquement rien à manger, souffre de dysenterie et doit lutter en permanence contre l’hostilité de la forêt. Il se nourrit de lézards, d’escargots, de graines, de rares oiseaux ou d’une tortue.
Le jeudi 18 décembre, sur son carnet : « mes premiers 10 jours de grande forêt, seul, sans vivres. L’expérience morale et physique me passionne. Tiendrai-je le coup ? Je suis avide de noter mes sensations journalières. Bobby a mangé avec moi, il a le ventre creux et les côtes saillantes, la rivière ni la forêt ne l’engraissent, il me regarde en se léchant les babines pour exprimer sa faim. Même pas un petit oiseau à lui donner à manger, rien, la forêt est sinistrement vide. Peut-être demain aurai-je plus de chance ? ».
Le mardi 20 décembre : « Si ce soir je n’ai rien mangé, quoi qu’il m’en coûte, je sacrifierai Bobby qui souffre et devient sauvage. C’est ça ou la mort pour moi. Toujours rien, la forêt est vide, même pas un petit oiseau. Ma faiblesse est extrême. Les arbres morts s’écroulent un peu partout autour du camp. Le tonnerre gronde. Les mouches que la pluie attire en nombre s’acharnent autour du hamac comme si déjà je sentais le cadavre. Je n’ai pas le courage de tuer Bobby ».
Le 1er janvier 1950, dans un état d’épuisement complet, il atteint enfin le Tamouri et le dégrad (nom guyanais de petit embarcadère) Claude où se dressent quelques carbets abandonnés. La faim le fait délirer, l’empêche de tenir ferment sa carabine pour tirer un éventuel gibier, lui sape le moral. A bout de force, il abat son chien Bobby et le dévore.
Il lui reste assez de raison dans son effondrement pour modifier son trajet et gagner au plus vite un poste habité et il décide de se rendre à la nage au village créole de Bienvenue, à 70 kilomètres de là où il pense se refaire une santé et reconstituer son matériel avant de repartir.
Le vendredi 13 janvier, il place dans son petit sac étanche de son appareil photo, les objets de première nécessité qu’il attache à son cou avec une machette. Il range ses affaires sous le carbet, y laisse ses carnets de notes fidèlement tenus, se jette à l’eau et disparait dans les remous. Personne ne le reverra ?
Oh ! Guyane, terre méconnue… Ce n’est pas toi, ni l’effort qui tuent l’Européen ; c’est lui qui se suicide et comme il lui faut un prétexte, il te choisit comme bouc émissaire.
Sur son carnet de route : « Je l’ai écrit pensant à vous et je vous le remettrai bientôt. Je vous ai juré de revenir, je reviendrai si Dieu le permet ».
Première halte
dans la forêt avant de se jeter à l’eau
Fin février début mars 1950, plus d’un mois après qu’il a quitté le dégrad Claude, un Indien Emérillons, qui se rend sur le Tempock, y trouve les objets abandonnés sous le carbet par Raymond Maufrais.
Ce n’est que le 6 juillet que l’agence de presse de Guyane hollandaise (l’actuel Suriname) lance dans le monde entier la nouvelle de sa disparition. Le lendemain, la presse française en fait l’écho et c’est le début de l’affaire. Elle sera alimentée par une foule d’articles, d’hypothèses plus ou moins rationnelles, de controverses sans fin.
Des journalistes de publications à sensations, entretiennent le mythe de sa découverte par des Indiens itinérants inconnus (les Oyaricoulets ou Grandes oreilles) qui l’auraient emmené avec eux pour le soigner et le nourrir. Rétabli, il serait devenu amnésique, les aurait suivis dans leurs déplacements. Un journaliste brésilien qui était dans l’expédition du Mato-Grosso affirme même qu’il se cache dans la forêt pour attendre son père et réapparaître dans le but de faire de la publicité. Des radiesthésistes confirmeront cette théorie et iront même jusqu’à situer précisément sur une carte l’endroit où malade et blessé, serait retenus par des Indiens ???
Laissons s’exprimer Edgard Maufrais, photo ci-contre, lorsqu’il a appris la disparition de son fils :
« Dussé-je vivre longtemps encore, jamais la date du 7 juillet 1950 ne s’effacera de ma mémoire. C’est ce matin-là que j’ai appris, en arrivant à mon travail, la disparition de mon fils Raymond. J’ai promis d’aller le rechercher et je le peux, il faut que je le retrouve et le ramener à sa mère. Jusqu’ici, j’ai traversé deux guerres, vécu deux années de captivité, participé aux côtés de mon fils aux combats de la libération, j’ai été blessé et malade, je peux donc aborder la jungle. J’ai l’impression d’être protégé par une force supérieure qui ne m’a jamais abandonnée ».
Et la seconde aventure commence le 18 juillet 1952, pour ce premier voyage, lorsque qu’Edgard embarque à bord du Claude Bernard au Havre à destination du Brésil, laissant à Toulon une épouse désespérée.
Après escales à Lisbonne et Dakar, il débarque le 2 août à Rio. Puis après de nombreuses démarches et autres il arrive à Macapa où les journalistes Georges de Caunes de la radiodiffusion français et Pierre Joffroy du Parisien libéré, qui viennent pour un reportage dans cette région lui rendent visite et lui propose de l’accompagner. Il profitera de leur canot, pour aller jusqu’à San Antonio de Jary où ils doivent enquêter sur la ruée vers l’or. De Caune et Joffroy ne peuvent aller plus loin et doivent retourner à Macapa. Tous deux lui font un adieu comme s’il ne devait plus revenir, après l’avoir tenté de le dissuader de continuer ce voyage qui se termine par un naufrage sur le Maroni où il perd tout son matériel. Désolé de n’avoir rien trouvé, il considère qu’il a échoué mais reste à Cayenne d’où il prépare son deuxième voyage car il a appris que son fils aurait été vu au Brésil, dans un village au bord de l’Amazone entre Alenquer et Bom Futuro, hélas, il est identique au premier.
Et ainsi de suite, jusqu’au dernier.
Au total, il monte 18 expéditions, parcourt 12 000 kms en 12 ans, montrant à tous ceux qu’il rencontre, la photo de son fils. Il connait la trahison, la prison, la faim, la maladie au cours de cette quête inlassable. Et cela sans aucune préparation, sans moyens. Ses voyages organisés seulement par la vente des bijoux familiaux et les droits d’auteurs des deux livres de son fils et du sien.
Il finit par renoncer, épuisé, après qu’une mission de Gendarmerie, en juin 1964, le retrouve au bord de l’inanition, près du dégrad Hubert, en compagnie d’une famille indienne tout aussi affaiblie. Sauvé de justesse, il va mettre fin à ses recherches et rentrer à Toulon auprès de son épouse.
Une association « les amis de l’explorateur Maufrais » est créée en 1951 et deviendra en 2015 « les amis d’Edgar et de Raymond Maufrais » qui déposera une plaque commémorative au dégrad Claude, à leur ancien domicile et sera à l’origine du nom de la rue.
Logo de l’association
à leur ancien domicile
Mention : textes, photos, internet, mes documents, ma collection personnelle et ma mémoire.
Ce qui me colle à cette aventure :
On venait à peine d’apprendre la mort de Marcel Cerdan, qu’arrive sur nos antennes, la disparition de Raymond Maufrais, restée dans ma mémoire, que je suivais avec passion par, « Radio Luxembourg, commenté par Jean Grandmougin » mais aussi le journal « La Voix du Nord » alors que j’avais 14 ans et nous vivions chez les grands parents après le décès de notre père.
En plus, Bobby le chien du grand père qui était mon compagnon, venait de mourir.
Histoire aussi activée par mes séjours en Guyane où je me suis occupé entre-autre, pour des amis, de Bobby qui était devenu mon chien !!
Serge Clay
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