LORRAINE Soldats : la guerre reste dans les têtes
Plusieurs manifestations sont prévues samedi pour la journée des blessés de l’armée. Alain, militaire lorrain, en fait partie. Son état de stress post-traumatique, contracté en 1995 en Yougoslavie, a été reconnu l’an dernier. Il témoigne.
Il a vécu l’enfer en Yougoslavie, en 1995. Son statut de blessé de guerre n’a pourtant été reconnu qu’en 2017. L’adjudant Alain*, la quarantaine, souffre de la plus indicible des blessures. Mais aussi de la plus fréquente chez les militaires : l’état de stress post-traumatique. Il toucherait plus de 70 % des blessés actuels. Samedi, à Metz, il sera présent avec deux autres blessés pour voir une centaine de rameurs se mobiliser lors d’une journée nationale qui leur est consacrée.
Il aura fallu vingt-deux ans à ce militaire, installé depuis onze ans en Lorraine, pour mettre ce mot sur ses maux : « Avec le psy, nous recherchions depuis des années dans mon enfance les causes de mes difficultés. Mais tout est ressorti au moment des attentats parisiens de novembre 2015. Quand je lui ai raconté mon Opex (Opération extérieure) en Yougoslavie, il m’a dit de ne pas aller chercher plus loin. »
Alain a alors 21 ans. Il est caporal-chef au 9e régiment de commandement et de soutien de Nantes, qui dépend de la 9e Division d’infanterie de Marine. Il vit sa première Opex, sous mandat de l’Onu (Organisation des Nations Unies). Pris en étau entre les Serbes et les Bosniaques, le casque bleu découvre alors de plein fouet la terrible réalité d’un théâtre de guerre.
Le 27 mai 1995, il participe notamment au fameux combat du pont de Vrbanja, réputé pour être la dernière charge baïonnette au canon de l’armée française. « J’ai compris en trois mois en Yougoslavie que « Call of duty » n’était pas qu’un jeu. Les balles qui sifflent, les obus qui explosent, les immeubles qui s’effondrent, le sang qui coule, la chair mutilée, l’odeur, cet ami avec qui on buvait la veille de sa mort une bière en parlant de nos projets… »
Porté par l’adrénaline durant son mandat, Alain revient différent. Mais il ne s’en rend pas compte : « Au retour, je pensais que tout allait bien. Mais on n’est pas le même après avoir vécu ça. Il y a des choses qui ne reviendront pas. D’autres qui ne s’effaceront jamais. » Certes, les orages l’effraient et les mouvements de foule l’insupportent. Mais ces réactions sont considérées comme classiques dans le milieu. Il se met aussi à ressasser certains faits et ses proches font les frais de ses colères et de son impulsivité. Mais Alain ne pose pas le moindre jour d’arrêt maladie. Il divorce en même temps qu’il enchaîne les Opex, une dizaine aujourd’hui à son actif.
Sa nouvelle épouse le convainc de consulter en 2003 : « Je n’en ai parlé à personne à l’armée parce qu’il y a toujours ce sentiment de honte. » Le traitement médical suivi depuis le stabilise. Le militaire finit même par accepter sa fragilité : « Nous ne sommes pas tous constitués de la même façon. » Son nouveau statut de blessé de guerre est vécu comme « une reconnaissance. » Mais il ne change rien à son quotidien ni à la poursuite de sa carrière dans une petite unité de la zone Terre Nord-Est. Et ne lui fait rien regretter : « Je suis très fier d’avoir vécu la Yougoslavie. Le militaire est là pour ça. Si c’était à refaire, je le referai. »
* Son prénom a été modifié
« Je n’en ai parlé à personne parce qu’il y a toujours ce sentiment de honte. »
Philippe MARQUE
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