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                                                                                Scouts toujours prêts

14 juillet 1944, une petite route de montagne dans le Tarn, 300 hommes du Corps Franc de libération défilent, uniformes impeccables et bérets inclinés.

C’est la 2éme compagnie (70 % de juifs) du nom de Marc HAGUENAU1, scouts des EIF, Eclaireurs Israélites de France que le Préfet Paul Roux (ou Pol Roux) regarde défiler.

Depuis 1940 la montagne tarnaise, appelée la montagne noire, terre de beaucoup de Huguenots, sert de refuge aux juifs persécutés par Vichy et l’armée allemande. Ils sont accueillis, au sein d’un réseau de maisons monté par les éclaireurs israélites, pendant l’exode de 1940 puis lors des rafles de 1941 et 1942.

Au château des Ormes, situé à Lautrec, loué par les scouts sont réunis garçons et filles ; une communauté type Kibboutz (partage des taches, travail de la terre…) son fondateur en 1923 Robert GAMZON2 voulait régénérer l’homme juif par l’étude de la Torah, combinée au travail manuel et au nationalisme français. Servir Dieu, le judaïsme telle est la devise EIF.

En 1940 le scoutisme est en vogue à Vichy et les EIF ont l’autorisation de continuer leur chantier à condition de n’y recevoir aucun étranger, ce dont ils ne tiennent pas compte et désobéissent. Les EIF reconstituent une vie juive pour beaucoup d’enfants. Les prescriptions alimentaires, le « kashrout », sont dures à suivre. Par exemple ils interceptent un camion de ravitaillement destiné aux Allemands mais qui ne contient que de la charcuterie (jambons, saucisses etc..). le groupe se divisent en deux : les « observants » et les autres.

A compter de 1942 les scouts basculent dans la clandestinité, les allemands créent l’UGIF, exigent la dissolution des EIF et leur intégration dans UGIF pour pouvoir les surveiller. Les EIF obéissent et deviennent la 6 éme division de l’UGIF. En fait c’est surtout un réseau destiné à faire échapper les juifs, surtout les enfants traqués par la gestapo et la police française

Lucien FEYMANN est l’un de leurs dirigeants, cheftaines et chefs scouts parcourent la France à la recherche de planques pour acheminer les enfants et payer les familles d’accueil. En avril 1944 Marc HAGUENAU convoyant des enfants vers la Suisse est arrêté, torturé et abattu dans sa tentative d’évasion. Edith PULVER  son assistante arrêtée elle aussi, mourra en déportation, en 1944 à Auschwitz.

Août 1942 les rafles pour déportation vers les camps de la mort débutent. Dans le Tarn une centaine de juifs est arrêtée par les gendarmes et est assignée à résidence à Lacaune (montagne du Sidobre).

Les EIF contactent les scouts unionistes (protestants). Odile de Rouville, épouse de Guy de Rouville, recueille une vingtaine de jeunes filles et les camouflent, les déguisent en scouts unionistes dans un camp monté dans la nature. On remarque  leur accent yiddish, elle répond que ce sont des alsaciennes.

Freddy Spielvogiel, ouvrier polonais réfugié, échappe à la rafle d’Août 42 grâce à une adresse donnée par André Krazucki, son voisin de Belleville pour qui il distribuait des tracts. Arrivé à Toulouse, il est arrêté, s’évade et se réfugie à Castres.

A Vabre, au-dessus de Castres, les juifs trouvent papiers, logements, cartes d’alimentation, aidés par la population locale issue des camisards qui leur procurent aide et amitié. Toute la population quelle soit catholique, laïque, Huguenote participe à ces sauvetages. Les gendarmes écœurés par le rôle que leur impose Vichy « oublient » de demander les papiers, sous prétexte qu’elles sont mineures, et les préviennent même des rafles.

Le 6 juin 1944 les responsables EIF demandent à tous les hommes de rejoindre le maquis dont huit hommes ont déjà préparé le terrain depuis 1943. Henri Glowinski du maquis de la Malquière, Daniel Kouglia et Jacques Rosenzwerg en font partie et se planquent dans une ferme isolée de la montagne. Ils se procurent des fusils quitte à les chaparder à d’autres maquis puis entraînent les jeunes au maniement des armes. Souvent, le soir conférence d’Hubert Beuve-Mery et Jean-Marie Domenach venant d’Uriage, une ex école des cadres de Vichy.

Pour les juifs les droits portent aussi sur la construction d’un état juif en Palestine après la guerre. Gamzon a prêté serment à l’armée juive, d’autres sont là pour libérer la France.

Pol Roux3 s’est assuré de la loyauté absolue de la Compagnie Marc Haguenau aux ordres des FFI.

Le maquis de Vabre très bien structuré s’occupe des tâches délicates. Ils récupèrent 2 déserteurs allemands et on leur demande de s’en occuper : procès et acquittés au bénéfice du doute. Ces 2 déserteurs apprennent au maquis les massacres que les armées nazies commettent en Pologne ; ils retiennent un nom : TREBLINKA mais ne croient pas tout à fait à ces dires.

Réception des parachutages de nuit au terrain « Virgule » mais le 8 Août ils sont attaqués par les allemands : 7 maquisards tués dont un certain Marc Bloch polytechnicien. La compagnie Marc Haguenau se venge en capturant un train allemand le 19 Août à Labruguière près de Mazamet. Train composé de 44 wagons chargés de canons, autres matériels et munitions qui déraillera car la voie ferrée a été sabotée. Toute la nuit le train subira des tirs d’armes automatiques depuis le talus surplombant la voie ferrée. Au matin du 20 les allemands se rendent. Léon Nisand alsacien d’origine leur crie «  ich bin jude »et tout le monde enchaîne   « wir sind juden » ce qui a pour effet de leur « foutre la trouille de leur vie » raconte Glowinski.

Grâce à la prise du train, Castres est libéré le 20 Avril 1944 sans combats. Bilan : 88 officiers dont 2 colonels, 4000 soldats médusés, démoralisés croyant être cernés par toute une armée alors qu’ils ne sont que 300 partisans, puis des armes : 20 000 fusils et 7 canons de 20mm. Et cela fut fêté comme de bien entendu.

En Septembre 1944 les maquisards rejoignent De Lattre de Tassigny pour combattre dans les Vosges.

 

Notes :

  • Robert GAMZON (1905-1961). Fonde EIF à 17 ans. Totem4: castor soucieux. Diplôme d’ingénieur de SUPELEC en 1925.Epoux de Denise Levy (Pivert).Officier des communications dans l’armée française, croix de guerre en 1940 pour la destruction du central téléphonique de Reims pour que ce dernier ne tombe pas aux mains des allemands. Crée une école ou ferme rurale en 1940 à Lautrec, sa femme « Pivert » en est la directrice adjointe. En 1942 est nommé au CA de l’UGEF. En 1943 il rejoint les maquis de Vabre, prend le commandement de la 2 éme compagnie (Marc Haguenau) sous le pseudo « Lieutenant Lagnés » en 44. C’est celle-ci qui libère Mazamet et Castres en Août  Intègre les FFI avec le grade de capitaine. Croix de guerre 1944, médaille de la résistance française, Chevalier de la légion d’honneur. Fonde l’école Gilbert Bloch à Orsay après la guerre. Réalise son Alya5 en 1949 avec une cinquantaine de ses élèves. Devient maître de recherche à l’institut Weizmann.  
  • Marc Haguenau (1904-1944). Ami d’enfance de Gamzon. Secrétaire général des EIF. Fils du grand Rabin David Haguenau. Dans la résistance de 1942 à Créateur en 1942 du service social des jeunes (répartition de l’argent, des faux papiers, etc..) le 18 février 44 à Grenoble une souricière est tendue par la gestapo qui l’arrête (ainsi qu’Edith Pulver, déportée et qui décédera à Auschwitz), et le torture. Se jette de la fenêtre du QG de la gestapo, il est fusillé. Son nom est donné à l’ensemble des maquis du Tarn en juin 1944.
  • Guy Gervais de Rouville dit Pol Roux (1915-2017). De famille bourgeoise protestante. Un  lointain ancêtre avocat au parlement de Toulouse, un autre mousquetaire du roi. Chef de section antichar. Il est démobilisé en 1940. Croix de guerre 39/45. Rentré dans le Tarn il crée à Castres une usine de gazogènes. Délégué à la jeunesse et au sport du canton de Vabre  il circule librement. Rejoint l’armée française du maréchal de Lattre de Tassigny après la libération.
  • Totem: nom d’animal reflétant le caractère, le physique du scout.
  • Alya: immigration en Israël.

 

 

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