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Janvier 2024

Cassandre, la sœur de Pâris, et Andromaque ne sont pas d’accord. Pour Andromaque, la guerre n’aura pas lieu, pour Cassandre elle aura lieu. Hector ne pourra rien empêcher, les hommes ne peuvent pas lutter contre le destin. Andromaque ne veut penser qu’au bonheur.[1]

Le 13 janvier 2015, rendant hommage aux victimes des attentats qui avaient eu lieu les jours précédents à Paris, Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, déclarait : « Nous sommes bel et bien en guerre contre le terrorisme et la barbarie. Faire vivre et grandir nos valeurs, cela réclame des mots mais aussi des actes. Nul angélisme ni excuse sociologique devant les pousse-au-crime et les professionnels de la mort, aguerris ou apprentis. »

Ce nouveau Cassandre croyait donc à la guerre. Il avait raison, puisque, moins de six mois plus tard, le 26 juin de la même année, un nouvel attentat survenait sur notre territoire, dans l’Isère, alors que, simultanément, deux autres avaient lieu au Koweït et en Tunisie faisant chacun plusieurs dizaines de morts. Chez nous, il n’y eut qu’une seule victime, monsieur Hervé Cornara, mais, élément inédit et hautement significatif, elle fut décapitée comme le furent avant elle d’autres victimes des barbares, mais toujours dans leurs reaires. La décapitation entrait pour la première fois sur notre territoire comme une nouvelle arme dans la guerre médiatique qui est le mode d’action privilégié de nos adversaires. Cela n’était qu’un préambule puisque, le 13 novembre suivant  avaient lieu des assassinats de masse au Stade de France, sur les terrasses de cafés parisiens et au Bataclan : bilan 190 morts et près de 500 blessés.

Trente ans d’échecs occidentaux

On oublie souvent que l’essor des islamistes a longtemps bénéficié des encouragements occidentaux. Le premier flirt de l’Occident avec l’islamisme remonte à 1967. Soucieux de se débarrasser du nationalisme palestinien, nassérien et laïc, les Israéliens et les Américains ont fermé les yeux devant le financement des Frères musulmans par les Saoudiens, dans l’espoir de les voir proliférer dans la Cisjordanie fraîchement occupée et ainsi de couper l’herbe sous les pieds à Yasser Arafat et à son organisation de libération de la Palestine. Les conséquences en furent la radicalisation du Hamas qui alimenta la permanence du conflit israélo-palestinien jusque et y compris la tuerie de masse qu’il effectua en territoire israélien le 07 octobre 2023.

Les apprentis sorciers occidentaux ont récidivé, au milieu des années 90, lorsqu’il s’est agi de chasser les Soviétiques d’Afghanistan. Washington a joué alors la carte des islamistes, via les militaires pakistanais et leur dictateur intégriste, le général Zia-Ul-Haq. La suite est connue : les Talibans, Al-Qaïda, Ben Laden et le 11 septembre.

La première intervention militaire directe des Américains et de leurs alliés remonte à 1990, lors de la guerre du Golfe contre l’Irak de Saddam Hussein. Puis ce fut la Somalie, en 1992, dans le cadre de l’intervention militaire onusienne sous commandement américain. Mais, on se souvient davantage de la seconde guerre d’Irak de 2003 grâce au « Mission accomplie » proclamé alors un peu rapidement par le président Bush. Vingt ans plus tard, c’est le chaos total et le retour à la barbarie sur près du tiers de ce territoire qui n’est plus un État.

En 2011, l’éléphant occidental, cornaqué cette fois par la France, est entré dans le magasin de porcelaines libyen pour renverser à coup de bombes son dictateur, Mouammar Kadhafi. Considérant que les ennemis de nos ennemis sont nos amis, l’OTAN s’est appuyée sur n’importe quelle milice armée, y compris jihadiste. Aujourd’hui, la Libye est un État voyou, incontrôlable. La catastrophe s’est propagée au Mali et dans plusieurs États au sud du Sahara où, malgré une intervention militaire française, les islamistes réapparaissent régulièrement comme les escargots après la pluie.

Sans nous en rendre compte, nous sommes entrés, depuis maintenant trente ans, dans une nouvelle guerre de Cent Ans. L’ennemi est aujourd’hui parfaitement identifié, quand bien même certains de nos responsables politiques ont encore du mal à le nommer : c’est le salafisme propagé par l’Arabie saoudite, déjà citée, pour lutter contre les Frères musulmans, qui eux-mêmes ont soutenu Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe. Le salafisme, bénéficiant de la manne financière de l’Arabie saoudite, a installé partout des mosquées avec à leur tête des imams prosélytes. La France n’échappe pas à cette prolifération.

Des coalitions de bric et de broc

Dans ce contexte, des alliances de circonstance ont été scellées L’histoire est riche de tels exemples. Nous avons eu besoin de Staline et avons fermé les yeux sur son régime totalitaire pour vaincre les nazis. Ce fut une alliance indispensable. Pour autant, certaines de ces alliances peuvent être éminemment dangereuses. Ce fût  le cas, par exemple,  en Afghanistan où l’URSS a été vaincue et où les islamistes radicaux, alliés de circonstance des États-Unis, devenus les Talibans, se sont retournés contre eux et ont hébergé Ben Laden qui fomenta, depuis ce territoire, l’attentat contre les tours du World Trade Center.

Il en fût de même en Libye, avec l’alliance contre nature que nous avons constituée avec les radicaux islamistes du commandant du Conseil de guerre de Tripoli, Abdel Hakim Belhaj, qui fût  reçu au quai d’Orsay, en mai 2014. Ces islamistes radicaux, aidés par des tribus restées fidèles à Khadafi, profitent allègrement du chaos actuel. Ils ont réussi à prendre les armes abandonnées par l’armée de Khadafi qui se sont ajoutées à celles que nous leur avions livrées. Nous avons ainsi pris le risque énorme de laisser Daech et son califat s’installer en Libye qui constitue une plateforme idéale pour lancer des attaques terroristes sur le continent européen. De surcroît, la gigantesque vague de candidats à l’immigration en direction de nos côtes  constitue un formidable vivier pour le recrutement de jihadistes.

Et maintenant ?

Rien n’a été définitivement réglé en Afghanistan, en Somalie, en Irak, en Syrie, en Libye où un état de guerre latent subsiste et où des attentats meurtriers ont lieu régulièrement. Au Sahel, la France s’est désengagée à la demande des états qui avaient fait appel à elle. Depuis, les groupes islamistes gagnent du terrain et ce territoire risque de devenir un nouveau califat.

A partir de 2022, la guerre en Ukraine a attiré tous les regards et fait l’objet de toutes les attentions. Le danger islamiste n’était plus à l’ordre du jour. Il s’est rappelé à nous le 07 octobre 2023 lorsque le Hamas palestinien a pénétré sur le territoire d’Israël pour y provoquer des tueries de masse. Femmes, enfants, vieillards ont été massacrés et, pour certains, y compris des bébés, décapités.

Mais, ce nouveau conflit proche-oriental a, comme les précédents, métastasé chez nous. Comme le 16 octobre 2020, à Conflans-Sainte-Honorine, fut assassiné par décapitation un professeur de collège enseignant l’histoire-géographie, Samuel Paty, le 13 octobre 2023, ce fut un autre professeur, Dominique Bernard qui, à Arras cette fois, a été poignardé. Celui-ci était professeur de français, mais l’assassin recherchait expressément des enseignants en histoire-géo. Pourquoi ? Parce que après les « Hussards noirs » de la République chers à Charles Péguy et qui, comme lui, partirent sac au dos faire la Grande Guerre, est venu le temps des fantassins de ligne qui se battent sur le front de la laïcité pour tenter d’enseigner à des jeunesses, dont certaines sont travaillées par des idéologies mortifères, les valeurs de la République . Au premier rang d’entre eux se trouvent les professeurs d’histoire géographie.

Il est urgent que tous les États qui désirent vraiment combattre le danger que représente le fascisme islamiste se mettent en ordre de bataille et affrontent cet ennemi commun. Il faut surtout que les citoyens des démocraties occidentales, parmi lesquels nos compatriotes, comprennent que cette guerre sera longue et acceptent de la mener avec détermination quel qu’en soit le coût financier. La meilleure marque d’une volonté sans faille de leur part serait que les États européens (je n’utilise pas, à dessein, le mot Europe qui, en matière de Défense, n’existe pas), qui pendant des décennies ont désarmé, acceptent, quelles que soient les difficultés économiques du moment, de donner à leur Défense les moyens nécessaires pour mener ce combat. L’alternative est claire : soit gagner à terme cette nouvelle guerre de Cent Ans, soit vivre au quotidien une guerre sans fin.

Ah, j’allais oublier : en Israël, depuis le 7 octobre 2023, 43 Français ont été tués et 3 sont portés disparus. Qu’avons-nous fait ?

 

Gilbert ROBINET

Conseiller technique du secrétaire général de l’UFAC qui vous souhaite une bonne et heureuse année 2024

La teneur des propos de ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur

 


[1] Ainsi se présente la trame de la pièce de théâtre La guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux, jouée pour la première fois en 1935.

 

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