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Le sang de la corruption

En janvier 2013, la France s’engageait au Sahel dans ce qui fut d’abord l’opération Serval puis, à partir du  1er août 2014, l’opération Barkhane qui couvrait un territoire grand comme l’Europe et concernait cinq états africains : Mauritanie, Mali,  Burkina, Niger et Tchad.

En 2021, un gouvernement dit « de transition » et composé de militaires a pris le pouvoir au Mali et a prié la France de quitter son territoire. Les forces françaises stationnées dans ce pays se sont alors redéployées au Niger. Mais voici qu’en juillet 2023, selon le même processus d’un putsch militaire, c’est cette fois les autorités nigériennes du moment qui demandaient avec véhémence et parfois au prix de violences de « libérer » leur territoire. L’ambassade de France de Niamey fut assiégée par une foule hostile brandissant des drapeaux russes et chinois et piétinant la plaque de l’ambassade arrachée de sa façade.

Pourtant, souvenons-nous : dès février 2014, un cadre institutionnel intitulé G5 Sahel devait monter en puissance afin de constituer une force capable de prendre le relais de la France. Le but de l’intervention initiale de cette dernière était double : empêcher l’enracinement des groupes jihadistes dans le Nord du Mali et restaurer la souveraineté de l’Etat malien sur l’ensemble de son territoire. Force est de constater qu’après le succès initial de Serval, ces objectifs n’ont pas été atteints et que la situation sécuritaire ne cesse de se détériorer. Pour autant, à la date du 28 juillet 2023, 58 soldats français (dont une femme) ont perdu la vie dans ces opérations.

Les causes de cet échec sont multiples. Certes, les forces françaises ont enregistré des succès tactiques. Il n’en va pas de même des armées des pays concernés. Les soldats autochtones subissent des attaques meurtrières. Ils sont en poste pendant parfois 10 mois sans relève, mal payés quant ils le sont, alors que leurs chefs restent à l’abri dans les hôtels les plus confortables de leurs capitales. Indirectement, Barkhane a prolongé la vie de régimes corrompus et, pour certains, très autoritaires, créant de ce fait un syndrome Turquoise consistant à dresser contre la France ces populations qui sont amenées à penser que nos soldats sont d’abord là pour protéger leurs gouvernants d’éventuels coups d’Etat.

Ces gouvernants n’ont pas pour préoccupation première de coordonner leurs efforts. C’est ce qu’a tenu à leur rappeler le président de la République, monsieur Emmanuel Macron en  invitant les cinq chefs d’Etat concernés pour un sommet le 13 janvier 2019 à Pau.

Pourtant, tous les observateurs, comme les responsables politiques et militaires français s’accordent à dire que la solution de la crise ne peut être exclusivement militaire, mais avant tout politique. Or, en plus du manque de communication entre les Etats impliqués, s’ajoute, précisément, une absence totale de réponses politiques de leur part. Ces Etats sont faillis et non seulement leurs forces de défense et de sécurité sont complètement débordées, mais s’ajoutent à cela des problèmes économiques, d’éducation, de santé, de justice sur lesquels prospèrent les groupes terroristes alors que leurs dirigeants se servent de l’aide internationale pour se maintenir au pouvoir plutôt que pour résoudre les problèmes sociaux.

Les Etats, quand il en reste quelque chose, acceptent de partager la gouvernance avec d’autres acteurs : jihadistes, milices communautaires, groupes d’autodéfense, le tout sous la bienveillante « couverture de la Russie » via sa milice Wagner qui se paye « sur la bête », c’est-à-dire sur les populations locales et n’hésitent pas à tuer des civils en toute impunité. Ce sont ces groupes qui assurent la lutte contre le banditisme ou la criminalité dans de nombreuses localités rurales où, face à la corruption, la population fait parfois plus confiance  aux salafistes-jihadistes qu’aux « autorités régulières ».

Qui osera donc le dire ? La corruption et la mauvaise gouvernance sont les problèmes centraux dans les pays du Sahel où nos soldats se battent. On peut les dénoncer, les pointer du doigt, convoquer les responsables à Pau ou leur parler à Dakar[1], il n’en demeure pas moins vrai que l’initiative de réformes vitales et urgentes ne peuvent venir que des forces politiques nationales. Des partenaires comme la France peuvent accompagner un sursaut, mais non le susciter.

Alors, à titre strictement personnel, je pose la question taboue : pour quoi et pour qui meurent nos soldats à qui l’on a confié une mission impossible compte-tenu de la disproportion entre les moyens déployés et la zone à couvrir et qui voient, peu à peu, le piège se refermer sur eux ?

Après l’enthousiasme à l’africaine des hommes et les youyous des femmes qui ont accueilli les militaires français à Bamako en janvier 2013, ont succédé, dans la population du  Mali d’abord puis,  aujourd’hui dans celle du Niger, un ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale que la rue accuse, avec ses mots à elle, d’ingérence. Quel que soit l’Etat concerné, la présence d’une force étrangère sur son sol est déstabilisante car elle souligne les béances et carences de cet Etat au regard d’une prérogative régalienne fondamentale qui devrait être la sienne : l’exercice de la violence légale et la capacité à assurer la sécurité de ses citoyens. Cela démontre la faiblesse des structures étatiques et contribue à saper un peu plus leur autorité.

Aucune armée au monde n’a jamais gagné une guerre menée en territoire étranger au milieu d’une population hostile. Au cours de la Guerre froide, les deux plus puissantes armées du moment, celle des Etats-Unis et celle de l’URSS ont été battues respectivement au Vietnam et en Afghanistan. Dans la guerre asymétrique que nous menons, notre armée professionnelle entraînée, rompue aux opérations qu’elle mène sans discontinuer depuis vingt ans, disposant d’armements modernes est opposée à des organisations qui, en comparaison, semblent artisanales. Et pourtant, ce sont les terroristes qui sont à l’initiative, qui imposent leur calendrier, qui nous contraignent à la réaction et, via les gouvernements fantoches en place, nous contraignent peu à peu à partir.

Cela ne peut plus durer ! La France et ses quelques modestes et peu nombreux alliés européens ne maintiendront pas indéfiniment cette région sous perfusion humanitaire, financière et militaire. Il faudra bien que les peuples concernés se ressaisissent et prennent leur destin en main ; Nous devrons, en partant, les laisser devant leurs responsabilités. Libre à eux de décider de s’en remettre à de nouveaux amis comme la Russie ou la Chine qui pratiquent une politique de prédation vis-à-vis de ces pays.

La France est intervenue au Mali en arguant d’un risque terroriste global : il s’agissait d’une action préventive. Pour autant, d’une part les autres pays européens ne semblent pas être convaincus par cette menace puisqu’ils n’interviennent pas et d’autre part aucun des groupes que nous combattons au Sahel n’a jamais, à ma connaissance, mené d’attaque chez nous. Que je sache, Molenbeek qui a servi de base arrière aux terroristes ayant frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015 n’est pas située au Sahel, mais dans la banlieue de Bruxelles.

La solution au Sahel ne peut venir que des pays qui le composent. Il faut « endogénéiser » la sécurité de la zone qui doit être assurée par et pour les Africains. Le général de Lattre déjà, lors de son trop court commandement en Indochine, voulait « jaunir » les forces du corps expéditionnaire français. Il n’en a pas eu le temps. Si un Dien Bien Phu militaire ne nous menace pas en Afrique, un équivalent diplomatique et politique n’est pas, lui, impossible. Sous la pression populaire, l’idée même d’une présence française deviendra insupportable et nous partirons rendant ainsi l’échec plus patent.

N’attendons pas jusque là.

                                                                                                                                                                                                                                                                                      Gilbert ROBINET

                                                                                                                                                                                                                             Conseiller technique du secrétaire général de l’UFAC

La teneur des propos de ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur


[1] Le 18 novembre 2019, à Dakar, en ouverture du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique, le Premier ministre français, monsieur Edouard Philippe a exhorté les pays d’Afrique de l’ouest à « ne laisser aucune prise » aux groupes jihadistes dans le Sahel.

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