Un coin d’Espagne en Algérie. Stéphanie Ramos
Pourquoi un texte sur l’immigration espagnole sinon pour rappeler qu’elle se caractérisa en premier lieu par sa temporalité. Elle fut de type « hirondelle » « golondrina » : le journalier partait après les semailles et retournait en Espagne pour les moissons. Il amènera plus tard sa famille. Les travailleurs agricoles furent tout le long de l’histoire de l’émigration espagnole vers l’Algérie, les protagonistes principaux de ce courant.
Parmi les communautés de toutes origines venues s’installer en Algérie, les Espagnols occupent une place tout à fait originale, et le rôle qu’ils ont joué dans la mise en valeur de la région Oranaise. D’où venaient-ils ? Pourquoi étaient-ils partis de leur terre natale ? Quand et comment s’étaient-ils installés ? Et quelle avait été l’importance de leur rôle dans la colonisation du pays ? Autant de questions auxquelles cet article va tenter de répondre.
L’immigration espagnole en Algérie court les siècles. Elle débute en 1830 et s’achève en 1962.
Dès le Moyen-âge, des échanges sont engagés entre l’Espagne et le Maghreb. En 1962, sont comptabilisés 900000 pieds-noirs et 400000 français d’origine espagnole. Les migrants espagnols arrivèrent longtemps avant les Français en Algérie et composent une véritable cartographie. La première phase de migration remonte à 1391, tandis qu’il y eut un massacre anti-juif à Séville, à partir duquel 5000 Juifs battront en brèche et partiront en Algérie. Il ne faut pas oublier le décret de 1492 qui expulse les Juifs d’Espagne.
En effet, la question de l’intégration des Espagnols en Algérie est complexe. La région d’Oran va appartenir à l’Espagne durant trois siècles. 1509, le cardinal Cisneros afin d’en finir avec les incursions des pirates barbaresques, s’empare de la partie septentrionale de l’Afrique. C’est seulement le 27 février 1791, que par un traité, l’état espagnol finalise son retrait d’Oran. Souvenons-nous que le siège d’Oran a eu lieu de 1780 à 1792, où les tractations diplomatiques aboutissent à la restitution des deux places de régence d’Alger, mettant un terme à presque trois siècles de contentieux algéro-hispanique.
Au XIX -ème siècle, la France lance une expédition militaire, la conquête de l’Algérie est accompagnée d’une colonisation de peuplement. La piraterie obscurcit le tableau et empêche au commerce d’être florissant.
Les crises de 1830 et 1846-1848 prolongent les crises de subsistance. 1830, le port de Mahon est utilisé comme base arrière, et les premiers civils à débarquer à Alger sont des Minorquins, utilisés comme maçons, terrassiers, tailleurs de pierre, manœuvres. S’installent rapidement les premiers agriculteurs afin d’alimenter l’armée en produits frais. Tandis que jusqu’en 1935, cette émigration reste masculine, arriveront bientôt des familles entières.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la France développe une politique de naturalisation pour répondre à des crises démographiques chroniques et peupler son empire colonial. En 1870, tous les Juifs d’Algérie sont naturalisés. 1889, la réforme du code civil, facilite l’acquisition de la nationalité française.
Sous la troisième république, l’école obligatoire, puis le service militaire pour les naturalisés, jouent un rôle décisif dans l’intégration. Un autre facteur d’assimilation, la politique de naturalisation : on admire sans nuance les fils d’immigrés qui s’imprègnent de la culture française, qui leur sert d’écrin. Albert Camus sertit la littérature française et Emmanuel Roblès réinscrit le français dans nos bibliothèques. Des écrivains, des peintres, des sculpteurs sont autant d’incarnations de la ville d’Alger.
A partir de 1840, le gouverneur général de l’Algérie, Bugeaud, réalise que la colonisation par les militaires est un échec et organise une colonisation civile. Il a un geste politique : il décide de donner un passeport français à tous les Minorquins. Afin d’y puiser une puissance démographique.
Le général Clauzel sera en poste du 2 septembre 1830 au mois de février 1831. Il est un fervent partisan de la colonisation.
En parallèle, une industrie de la chaussure est fondée à Minorque créant des emplois. Une fracture entre les Français de souche et les Espagnols qui sont mal vus et déchirés par un sentiment d’illégitimité et de ne pas être à leur place.
L’Espagne, quant à elle, est frangée d’ombre, puisqu’obscurément surviennent trois guerres civiles sanglantes. Cette cause politique favorise la volonté de migration vers l’Algérie.
Les Levantins et les Andalous souffrent du Caciquisme. Les Andalous notamment ont souffert du Caciquisme, les propriétaires terriens bloquant toute évolution. Des propriétaires Andalous vont partir en Algérie tandis que la colonisation est en pleine expansion.
Des migrations ont lieu pour des raisons politiques : les Carlistes défendaient le retour à l’ancien régime. C’est un mouvement absolutiste et légitimiste espagnol qui génère une puissance d’arrachement et de migration.
Vers la moitié du XIXème siècle seront inaugurées de nombreuses lignes de ferry entre les côtes levantines et Oran. Ces compagnies vont permettre des déplacements réguliers entre la France, l’Espagne et l’Algérie. Outre les travaux agricoles et les manœuvres, il convient de souligner que la pêche sera une composante prédominante chez la population espagnole en Algérie. Mais les Espagnols ont le sens de l’économie, et aidé par la fameuse loi de 1889 qui leur donne l’accès à la nationalité française, ils vont devenir propriétaires. Ce creuset forge une population faite de français, d’espagnols, d’Italiens-Maltais. On les appelle « les pieds-noirs ». Leur parler est coloré. C’est une langue sans commune mesure, un panachage linguistique qui donnera naissance au « pataouète », constitué de locutions arabes, castillans et français, même parfois des emprunts italiens, maltais ou turcs. On écrit en français, mais on parle souvent la langue des parents, et à Oran, la langue dominante est l’espagnol. A Oran, des rues et même des quartiers sont complètement espagnols. Ils ramènent en Algérie des traditions, des jeux de hasard, des danses mais surtout les corridas. Les corridas sont autorisées à Oran, à la condition qu’elles ne se terminent pas par la mort du taureau. L’après-midi, on brosse les mille et un portraits des Espagnols, dans les bars, on boit de l’anis, on fait des parties de mus, et on parle fort…dans une agitation bavarde…
La fin de la partie militaire de la colonisation d’Algérie a lieu en 1848 lorsque l’Algérie est devenue un territoire français constitutionnel. Cette année-là, la France a aboli l’esclavage des colonies. On en finit enfin avec le système latifundiaire espagnol qui nécessitait l’emploi de journaliers, ce, sans contrôle ni droits sociaux, tout en fabriquant la puissance des patrons dans leur rapport dominant.
Le sentiment identitaire espagnol restera présent malgré l’assimilation française. Pétris de communauté, les Espagnols font brèche dans le temps, ils constituent un véritable conservatoire de traditions désuètes.
La présence hispanique en Oranie est exploitée par des courants nationalistes. A la fin des années 30, les Phalangistes soutiennent cette revendication. Et en 1940, Franco va tenter de négocier son alliance avec l’Allemagne contre la cession de l’Oranie et du Maroc à l’Espagne.
La colonie espagnole, par sa vitalité, impose en de nombreux endroits sa langue et ses coutumes.
A la veille de la seconde guerre mondiale, des dizaines de milliers d’espagnols fuient le régime Franquiste, certains débarquent en Algérie entre Mars et juin 1939. Dans quelles conditions sont-ils arrivés ? Les réfugiés espagnols sont rapidement internés dans des camps et on propose de les utiliser comme main -d’œuvre à bon marché dans les secteurs de l’agriculture et des ponts et chaussées.
On bascule dans la guerre civile et l’épisode final s’incarne dans une dégringolade que fut le débarquement de réfugiés espagnols en 1939 puis leur internement pendant la période de Vichy, dans des camps disciplinaires. Le ministre de l’Intérieur d’alors fait interner femmes et enfants dans les camps de Cherchell, Carnot, et les hommes à la frontière du désert à Boghar et Boghari, afin de les convaincre de rentrer en Espagne.
Le débarquement des Américains en novembre 1942, la transformation d’Alger en capitale de la France libre auront pour conséquence la libération des réfugiés républicains. Par les épreuves traversées, ces derniers seront auréolés d’un certain prestige…avec une lucidité touchante. L’illustre-les arrache du sol de la souffrance et hausse ces existences minuscules.
Ausculter ce sujet de la migration conditionne des questions :
Pourquoi part-on ? La misère et les blocages sociaux-politiques magnétisent comme autant de raisons les départs. L’Algérie offre une terre d’accueil proche. L’intégration se fera par le travail, l’école, le service militaire, les mariages mixtes et la naturalisation.
Mais le sentiment identitaire hispanique demeure. Ne s’atténuent jamais ces traditions plurielles aux confins de l’histoire et on garde le souvenir de leurs palabres ancestrales. Engloutis durant la guerre civile, enfermés dans leur nationalité d’origine, les Espagnols rendent sensibles les marges fragiles de l’identité française et de la mémoire des origines.
Embarque 2200 passagers, 10000 espagnols
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