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Avec l’aimable autorisation de Laurent KLEINHENTZ Maire de Farébersviller, Auteur de nombreux livres sur la guerre de 1939/1945, à publier la vraie version.

Ralph W. Roberts

Farébersviller, le 4 décembre 1944

A cette époque, en tant que fantassin de l’armée américaine, je n’avais qu’une vision très réductrice de la guerre, à savoir que je n’avais aucune idée de la situation générale et des évènements en cours ce jour-là. Je savais quand même que la bataille de Farébersviller était l’attaque d’un bataillon visant à « redresser les lignes ». Autant qu’il m’en souvienne, tel était le mot d’ordre ce matin-là.

L’attaque était prévue à 7 h 30 minutes. Par erreur, le premier commando de la compagnie C, 318ème régiment, 80ème division, attaqua quelques minutes plus tôt, avant les autres. Nous devançâmes donc le reste de la division dans un champ qui était recouvert à la fois par la brume et le brouillard. De ce fait, dans cette lumière matinale diffuse, nous avions une silhouette similaire à celle des soldats allemands. Les autres soldats de la 80ème se mirent à nous tirer dessus. Nous ne pûmes répliquer. Tout ce que nous pûmes faire fut de nous coucher dans la boue et hurler : « Nous sommes des G.I.’s, des Américains, ne tirez pas ! ».

Dans le même temps, leurs balles s’enfonçaient dans la boue tout autour de nous, ce qui provoquait un horrible bruit sourd. Nous restâmes plaqués au sol pendant un moment qui nous sembla être une éternité. Quand l’erreur fut réalisée et que les tirs s’arrêtèrent, le sergent William Donovan Junior, de Bayonne, New Jersey, était mort, tué par nos propres troupes.

Après cette bavure, nous avançâmes vers la voie ferrée qui se trouvait entre la ferme Bruskir et nous. La ferme était remplie de soldat S.S. et cela bloquait notre avancée.

Un G. I. se porta volontaire pour tenter de « nettoyer » la ferme. Il se leva et se mit à zigzaguer aussi vite qu’il le put avec son fusil, en direction de la ferme. A la fenêtre de la cave, il aperçut un soldat allemand qui le mit en joue avec son fusil. Instinctivement, le G.I. brandit le sien pour riposter, sans pour autant stopper sa course infernale. Le soldat allemand se ravisa et se remit à l’abri dans sa cave. Quand le G.I. atteignit le mur de la ferme, au niveau de la fenêtre de la cave, il y jeta une grenade. L’explosion et le bruit qui en résultèrent furent terrifiants et firent trembler le bâtiment. Puis le G.I. courut vers l’entrée de la maison et entra. Il y avait là un groupe de SS qui, nerveusement, se tenait debout, les mains en l’air. Ils se rendirent Ils étaient 15 à 18 dans la maison à ce moment-là. Ils auraient pu contrecarrer notre avancée s’ils l’avaient voulu, mais le bruit de la grenade explosant dans la cave les avait, je pense, réellement terrifiés. Ensuite un autre G.I. entra dans la maison et aida à sortir les prisonniers. Ce fut la  fin de la résistance allemande dans le secteur de Farébersviller.

Quelques instants plus tard, alors que nous progressions vers l’Est de Farébersviller, le G. I. qui avait à lui seul pris la ferme reçut d’un tireur isolé une balle dans le bras.

Ce fut grâce à cette attaque du bataillon dans les environs de Farébersviller, dont l’objectif était de redresser les lignes américaines, que le reste de la ville fut libéré.  Ce G.I., c’était Monsieur Ralph W. Roberts.

Jane la fille de Ralph Roberts et son mari Steven Lindeman sont venus du New Jersey visiter les lieux où a combattu leur père et beau-père. En effet, le 4 décembre 1944, la 318eme régiment de la 80eme division U.S. a libéré le village de Farébersviller au prix de nombreuses pertes américaines. Ralph Roberts, profitant du brouillard matinal, s’approcha de la ferme Lagrange (Bruskir) et lança une grenade par le soupirail de la cave dans laquelle étaient cantonnés des S.S. de la 17ème Goetz von Berlichingen.

Jane et son mari ont voulu revoir l’endroit du drame (il ne reste plus actuellement que le plancher de la cave) en sachant que le G.I. Ralph Roberts fut blessé peu après en montant à l’assaut du village de Théding.

 

 

 

                             

 

Combats du 28 novembre 1944

Lagrange Gérard

1) Arrestation de 2 maquisards et leur arrêt de mort à la ferme Bruskir.

En ce mois de juin, en pleine fenaison, nous chargions le foin dans la Blickwiese (le long du talus SNCF entre les deux ponts face à la ferme). Deux hommes, sortis comme des diables de leur boîte, jaillirent de la voie ferrée, dévalèrent la pente devant un tir nourri provenant du Stockfeld. Mon oncle suivit en courant les deux fugitifs qu’il connaissait. Arrivés tous les trois dans le rucher, il leur remit en catastrophe quelques effets personnels alors qu’au-dehors, devant la façade de la ferme, la meute des S.A. arrivait. Tels de vieux briscards rompus à la guérilla, les deux hommes se couvraient à tour de rôle en lâchant des rafales ; bientôt ils se perdirent dans les blés bordant la ferme. Grosse déception pour les chasseurs !

Nous, nous fûmes quittes pour une belle frousse : les tirs nous avaient encadrés, l’une des balles se ficha carrément dans la charrette. Mon père fouetta alors les chevaux à bride abattue ; la cour de la ferme protégée par des hauts murs nous mit à l’abri du danger.

Les deux hommes qu’on recherchait n’étaient autres que Hackenberger Pierre (réfractaire, fils d’un cafetier de Cocheren) et un Serbe, prisonnier évadé. Ils narguaient ouvertement les pontes locaux et faisaient de temps en temps le coup de feu contre eux.  Aux grands moyens les grands remèdes ! On fit appel à la Gestapo et à la Feldgendarmerie. Deux jours après les faits, un camion à croix gammée s’arrêta dans la ferme et une vingtaine d’hommes en uniforme noir jaillirent de sous la bâche. Ils campèrent chez nous, ayant amené leur paquetage. Leur mission consistait à prendre morts ou vifs ces deux insoumis. Bientôt, les voilà déguisés en parfaits travailleurs qui, une pioche ou une pelle sur le dos, qui, à partir arpenter par deux ou trois les différents secteurs rayonnant autour de la ferme.

Le lendemain matin, on ramena les deux enchaînés. Ils furent invités à s’asseoir sur le fumier.

(Version plausible de leur capture (d’après d’autres renseignements).

Un faux bohémien occupé à tailler l’osier des saules dans la forêt accosta nos deux lascars, peu soupçonneux pour supposer avoir devant eux un quelconque ennemi. Gagnant leur confiance, l’agent dégaina son pistolet et les fit prisonniers.

Mon père crut reconnaître l’un des captifs. De la chambre de l’étage, avec son ardoise, il  lui envoya  des messages. Il écrivit d’abord une série de noms de villages. Chaque fois, l’entravé répondait discrètement non de la tête. Enfin il sourit lorsque le nom de Cocheren fleurit sur l’ardoise. Par recoupement, papa sut très vite que c’était le fils Hackenberger. Les deux premières initiales suffirent car aussitôt ce dernier acquiesça. Mais tout ce manège n’avait pas échappé à la Gestapo intriguée par le comportement du prisonnier en constants mouvements. Mon père fut surpris dans son action de questionnement à distance et immédiatement soupçonné d’être sans doute un complice. Cet événement eut lieu un dimanche matin peu avant l’heure des offices et pour rien au monde, ma famille n’aurait raté la messe !

La Gestapo méfiante nous suivait à la trace ; même en allant rapidement chercher une salade, mon père fut poliment accompagné. Un policier nous accompagna comme une ombre à l’église et stationna dans le clocher pendant que ma famille s’installait dans les travées. Monsieur Aug Nicolas fut mis au courant de la situation par mon père. Il alla vite prévenir le père Hackenberger.

L’après-midi, la sœur du rebelle arriva et dans sa fureur courageuse subtilisa le revolver d’un des gendarmes. Au milieu des vociférations, elle fut enfin maîtrisée.

Le sort des deux hommes avait déjà été scellé. Hackenberger eut une « mort de faveur » : achevé proprement devant le talus de la voie ferrée par deux coups. Son compagnon eut une mort atroce; en fait c’est un troisième prisonnier, un Russe semble-t-il, qui fut obligé, sous peine d’être passé par les armes, de l’égorger !

Les ordonnateurs de la tuerie revinrent et décidèrent d’enterrer d’autorité les deux hommes près du poulailler. Refus catégorique de mon père. Finalement, le corps du fusillé fut convoyé dans une charrette conduite par son père jusqu’à la morgue du village. Sa tête dépassant du cercueil laissait perler du sang. « Das Schwein ist geladen ! » (le cochon est chargé) dit l’un des bourreaux. Les villageois submergèrent le corps d’un monceau de fleurs tricolores, ce qui mit les tueurs dans une colère noire.

2) Démantèlement du maquis et arrestation de mon oncle et de mon père.

Une soixantaine de maquisards traînaient dans les forêts avoisinantes. Ils avaient leur pied-à-terre chez nous. Mon oncle et mon père les nourrissaient : vaches tuées au noir, moutons qu’on sacrifiait en les précipitant accidentellement sous le train grâce au chien bien dressé. Un constat était alors dressé précisant les causes du préjudice car les bêtes étaient inventoriées et devaient revenir au Reich.

Monsieur Brucker de Farschviller ramenait deux fois par semaine du pain à ces Waldpiraten.

Les soupçons pesaient déjà lourds sur les deux fermiers Lagrange. Une dame de X…, espionne à la solde de la Gestapo, ramena trois faux déserteurs chez nous, lesquels épinglèrent deux vrais déserteurs cachés dans notre meule de foins (voir par ailleurs témoignages de Marie-Louise Houllé et Lydia Melling).

L’un d’eux, un gars de Sarre-Union, dénonça tout ce qu’il savait.

Pour donner le change en aidant ouvertement le régime nazi, mon oncle et mon père partirent pelle et pioche sur l’épaule pour aller schanzen (creuser des tranchées) et prouver aux yeux de l’autorité allemande leur dynamisme patriotique pour le Vaterland. Ils furent ramenés à la ferme par les policiers lancés à leur poursuite. Totalement compromis, les deux frères, emmenés rue des Roses à Farschviller y furent honteusement bastonnés. Sonné par les coups reçus, l’oncle gisait sous la table. Ma tante arriva avec moi. Courageusement, elle tenta de s’interposer lorsqu’on cravacha mon père. « Tu veux subir son sort, eh bien continue à t’en mêler ! » dit l’un des énergumènes. Tous deux furent emmenés à la Brême d’Or et rapidement évacués vers Dachau.

Le soir de leur arrestation, nos foutus maquisards revinrent quémander leur nourriture. Certains d’entre eux, pensant peut-être trouver des policiers allemands chez nous, tenaient des grenades en main, prêtes à être balancées. Ma tante les accueillit vertement et les chassa !

« Ce matin, vous n’étiez pas là pour les sortir du guêpier ! Filez ! ».

Après-guerre, sur les soixante insoumis nourris et logés, sans compter les évadés qui transitaient par le réseau, trois seuls revinrent remercier chaleureusement mon oncle et mon père de les avoir aidés à survivre. Un Anglais, par exemple, revint à la ferme en 1946 sur une superbe moto. La ferme faisait partie d’un réseau pour évadés. Le curé de Folkling nous les envoyait de nuit ; nous, nous les expédions la nuit suivante chez son confrère de Barst.

Lors de la grande perquisition effectuée autour de la ferme, les chevaux des policiers passèrent tout près d’un couvercle de la cachette, établie dans un abri pour vaches, sous un amas de poutres étalées. Cette remise en plein air servait de protection à nos bovins mais sous le plancher, se tenaient ce jour-là nos maquisards.

Lors d’un bombardement, un des trois clandestins qu’on hébergeait à la maison fut blessé. Avec l’Ausweiss de Monsieur Ignatovic, prisonnier Serbe travaillant à la ferme, on partit le faire soigner chez le docteur Siebert.

3) Les combats :

« Wollen sie trotzdem hier bleiben, denn wir nehmen Stellung ? ». Maman et ma tante ne comptaient pas quitter la ferme. Elles tenaient beaucoup à leurs vaches et chevaux. 80 feldgrau environ s’installèrent dans et autour de la ferme. La soupe leur arrivait chaque midi sur un chariot, mais bientôt elle ne leur parvint plus qu’en soirée à cause des tirs d’artillerie U.S. et ensuite, plus du tout. Nos trois charrettes réquisitionnées furent à tour de rôle pulvérisées par les tirs précis dirigés par un guetteur américain installé dans le clocher de Henriville. A chaque fois, un pauvre marmiton laissait des plumes dans les explosions. L’observateur U.S. aux binoculaires bien ajustées avait une vision si poussée qu’à chaque relève de sentinelles, l’une ou l’autre restait sur le carreau, frappé par une balle mortelle. Un obus précis volatilisa le monceau de traverses qui obstruaient judicieusement l’entrée de notre cave.

N’ayant plus de ravitaillement, les Allemands firent main basse sur nos quadrupèdes qui furent tous embrochés et braisés dans le feu de cheminée. Un âtre improvisé fut aménagé en éventrant notre conduit de fumée. A la guerre comme à la guerre !

De bon matin le 28 novembre, des Américains nous délogèrent de la cave, moi en premier. Les mains en l’air, insouciant, je dévisageais ces gars venus d’ailleurs. La poignée de civils que nous étions remonta les escaliers. « Boches…. hier ? » cria l’un des libérateurs. Fayer Toni me dit de redescendre dire à la vingtaine d’Allemands survivants, (car il y avait eu de nombreux morts et blessés provoqués par les tirs d’artillerie), de se rendre, ce qu’ils firent. Je détiens encore une bible et un chapelet remis par des Américains ce matin-là. La journée se passa dans le calme. Boys et feldgrau se côtoyaient, les Allemands prisonniers goûtant un peu trop à l’avance ces quelques heures de douce captivité. Le soir, les rôles furent inversés.

Sous un déluge de balles crachées par mitrailleuses et mitraillettes, les S.S. venus de Théding dévalèrent en hurlant les marches et extirpèrent les G.I.’s médusés. Je ne fus plus le premier à sortir si vaillamment de mon trou, au contraire je m’attardais longtemps près du puits interne.

Mais le corps de ferme devenait inhabitable et intenable pour nous. Les obus qui pleuvaient sur les bâtiments nous asphyxiaient. C’était la fin du monde qui nous surprenait. Nous décidâmes de fuir dans la fournaise. J’étais devant, portant haut une sainte Icône représentant la Vierge Marie. Malgré les roquettes et les explosions de toutes sortes, aucun des dix membres du groupe ne fut touché.

Avant l’heure d’être soldat, j’exécutais le parcours du combattant, me plaquant tous les 50 mètres, le nez dans l’herbe, alors que giclaient les mottes de terre et les éclats. Au croisement de Théding, ça pleuvait comme à Gravelotte. Notre famille Lagrange (5 personnes) se dirigea vers la maison d’une connaissance à Théding, et les autres avec Fayer Tony (Monsieur et Madame Ignatovic, Stacho le berger, Glad..) filèrent vers Diebling puis Bousbach.

Pendant que je sonnais désespérément chez les Adamy, un obus en face percuta le mur de la mairie de Théding en nous mitraillant sans gravité d’une pluie de gravats et de poussière, au passage. Les tirs d’obus continuèrent jusqu’au 4 décembre. Je faillis être transpercé d’une balle cet après-midi-là car elle atterrit dans le couloir et passa à quelques centimètres de moi.

 Lagrange Nicolas+

On passerait des heures à écouter Monsieur Lagrange raconter ses souvenirs. Bien qu’ayant atteint l’âge respectable de 83 ans, il garde une mémoire que personne ne peut prendre en défaut. Il faut l’entendre parler d’une des périodes les plus bouleversantes de sa vie, la dernière guerre. Et s’il y a des héros méconnus qui, par leurs actions quotidiennes ont contribué à la résistance de notre pays face à l’hégémonie nazie, M. Lagrange en est certainement un. Originaire de Coume, il s’installe à Farébersviller en 1939 dans la ferme qu’il venait d’acquérir. Il n’en profita pas, la déclaration de guerre contre l’Allemagne l’obligeant à faire son devoir, comme beaucoup d’autres d’ailleurs.

Le voici donc soldat, embarqué dans ce que l’on a appelé «la drôle de guerre». Pour lui, elle fut de courte durée puisqu’il fut fait prisonnier par les Allemands dans la région de Toul. A la signature de l’Armistice, démobilisé puis libéré en tant que Lorrain, il rentra chez lui pour y découvrir sa ferme détruite. Le responsable du canton (allemand bien sûr) le convoqua pour lui notifier qu’en deux semaines, tout serait reconstruit… ce qui fut fait. Mais la grande Allemagne voulant s’attirer les bonnes grâces des Lorrains annexés fit mieux encore, elle lui fournit dix vaches et deux chevaux que Nicolas réceptionna en gare de Forbach.

Passeur

La vie reprenait son cours ; des habitants du village venaient travailler à la ferme moyennant quelques subsistances. N’était-ce pas là un moyen généreux de venir en aide à des compatriotes plus malheureux que soi ? Quand on connaît la suite de l’histoire, on n’en doute plus. Tout a commencé lorsqu’un jour un déserteur de la Wehrmacht se présenta chez lui afin de lui demander de l’aide, et c’est tout naturellement que notre bonhomme lui offrit le gîte et des vêtements civils.

  1. Lagrange ne pouvait soupçonner alors que cet homme qui fuyait l’Allemagne serait le premier d’une longue liste. 320 personnes au total furent cachées, nourries par M. Lagrange, mettant ainsi en péril sa vie et sa famille. Toutes ces personnes lui étaient adressées par le prêtre de Folkling.

Il n’avait pourtant pas l’âme plus patriote qu’un autre, notre héros, mais son grand cœur ne pouvait se résoudre à refuser gîte et couverts à ces pauvres hères. Ils étaient Anglais, Français et Allemands. Jusqu’en 1944, il devint l’un des passeurs les plus efficaces de la région. Aménageant des caches dans sa ferme, il hébergea jusqu’à 16 personnes à la fois. Même les résistants cachés dans la forêt toute proche s’approvisionnaient à la ferme. Les déserteurs de la Wehrmacht troquaient leurs uniformes contre des vêtements civils et munis d’une fourche, ils traversaient ainsi nos campagnes sans trop de risques.

Oui, mais voilà : plus il accueillait de personnes, plus il encourait le risque d’être dénoncé.

Ce qui devait arriver, arriva, par l’intermédiaire d’un déserteur de l’armée allemande qui fut pris dans un contrôle de patrouille. Il ne résista guère, précisant même d’où provenaient les vêtements dont il était affublé et combien de réfractaires et résistants M. Lagrange hébergeait dans sa ferme.

Déporté à Dachau

Le lendemain, M. Lagrange vaquant à ses occupations quotidiennes, ne fut guère surpris en voyant débouler dans la cour de sa ferme, trois voitures appartenant à la sinistre police allemande ; des hommes en surgirent armes au poing. Une perquisition fut rondement menée, elle ne donna aucun résultat, preuve s’il en faut, que les caches étaient sûres. Les Allemands ne lésinant point voulaient embarquer toute la famille, M. Lagrange leur fit cette réponse : «Ici, c’est moi le patron, s’il faut prendre quelqu’un, c’est moi», il fut arrêté immédiatement. Emmené à Farschviller, il y rencontra d’autres camarades d’infortune. Interrogé sous la torture (on lui pointa le canon du fusil plus de dix fois sur la nuque), il nia tout et leur résista ainsi toute une semaine. De guerre lasse, la police le transféra au camp de la Brême-d’Or avec ses compagnons. Mais la Brême-d’Or n’était qu’une étape. Dachau fut la destination finale.

Dachau, ce nom qui donne le frisson, ce nom synonyme de morts, de martyrs. Neuf mois d’enfer pour lui, dans l’incertitude du lendemain, du sort réservé à sa famille. Harcelé par les kapos, côtoyant la mort chaque jour, il voyait les camarades autour de lui décimés par le typhus ou par le sadisme des gardiens S.S. (En tombant à l’entrée d’un wagon, il fut frappé au dos par un gardien, avec la crosse d’un fusil ; il ne dut son salut qu’à deux camarades qui le hissèrent à l’intérieur du wagon).

Chaque jour, il devait, en compagnie d’autres prisonniers, se rendre à pied au dépôt de la gare de Munich pour y travailler. Seul salaire, un pain de seigle de 1,5 kilo pour 16 personnes et des écorces de chêne en guise de café. Le soir, il retrouvait son lit dans une baraque où les fenêtres n’avaient pas de vitres, sans portes et ceci en plein hiver. Le matin en se réveillant, il fallait d’abord évacuer du dortoir ceux que la mort avait visités pendant la nuit, morts de faiblesse, de faim, morts du typhus, morts pour rien.

Il ne dut sa survie qu’à un médecin complaisant qui le maintint à l’infirmerie plus de trois mois suite à une blessure à la cheville provoquée par un morceau d’acier. L’espoir d’être libéré se concrétisa un jour.

Les Américains étaient là, la fin du cauchemar aussi. M. Lagrange fut l’un des premiers à être rapatrié en France (via Strasbourg) par des camions militaires. Sa famille eut certainement du mal à reconnaître en cet homme squelettique Nicolas Lagrange que les Allemands avaient emmené 9 mois auparavant.

Aujourd’hui, M. Lagrange ne veut tirer aucune gloire de son passé. Il n’a aucune haine ou rancune envers ses bourreaux.

Que voulez-vous, les vrais héros sont ainsi faits !

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