Républicain Lorrain du vendredi 23 avril 2021
Un jour, une histoire
SAINT-DIE-DES-VOSGES
<< Mona >>, l’une des six femmes Compagnons de la Libération, est passée par Saint-Dié
Marion JACOB
Laure Diebold-Mutschler, secrétaire de Jean Moulin, est l’une des six femmes Compagnons de la Libération. Photo Musée de /’Ordre de la Libération
Sur les 1. 038 Compagnons de la Libération, seules six sont des femmes. Parmi elles, Laure Diebold Mutschler, née en Alsace et qui a vécu un temps à Saint-Dié-des-Vosges. Si son parcours est méconnu, elle fut pourtant l’un des rouages essentiels de la Résistance en tant que secrétaire de Jean Moulin.
Si les agents de la Gestapo ne l’ont pas repérée tout de suite, c’est peut-être pour cela : parce qu’elle était une femme et qu’on ne se méfiait pas d’elle. Pourtant, elle en a croisé dans les gares, les parcs ou les restaurants quand elle passait dans un bas, dans son chapeau, dans le tube de selle de son vélo, messages et rapport codés échangés entre la Résistance et les Français Libres de De Gaulle à Londres. Secrétaire de Jean Moulin, Laure Diebold-Mutschler était au courant de ses plus grands secrets, elle qui s’était engagée dès 1940 dans la Résistance sous le pseudonyme de « Mona » ou « Mado». Elle est l’une des six femmes Compagnons de la Libération sur les 1.038 Personnes nommées par l’Ordre,
En 1943, arrêtée par la Gestapo, torturée, déportée, victime d’expérimentation médicale, laissée pour morte. Elle n’a jamais parlé, jamais livré un nom, un lieu. Pourtant, l’histoire a mis du temps à reconnaître son parcours. Il a fallu un livre d’Anne-Marie Wimmer en 2014, aujourd’hui repris dans l’ouvrage de Marie-José Masconi « Et les femmes se sont levées » pour mettre en lumière cette Alsacienne passée par les Vosges.
« A l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de voter, d’ouvrir un compte en banque. Elles étaient considérées comme des mineures et n’occupaient que des emplois subalternes, explique Marie-José Masconi. Dans l’ombre des hommes au quotidien, les femmes n’en ont pas moins été des rouages essentiels de la lutte intérieure contre l’occupant nazi. Le parcours de Laurentine Mutschler, son nom de jeune fille, débute à Erstein (67) en 1915 où elle naît. Elle s’installe à Saint-Dié avant la guerre comme secrétaire d’un industriel du tissage.A la signature de l’armistice, elle rentre en Alsace et devient agent de liaison et d’évasion pour un premier réseau. Installée chez ses parents à Sainte Marie-aux-Mines avec son fiancé Eugène Diebold, elle nourrit et héberge des évadés au nez et à la barbe de voisins collaborateurs. Le soir venu, elle les accompagne à travers la forêt vosgienne jusqu’à Saint-Dié ou Gérardmer, de l’autre côté de la nouvelle frontière de l’Alsace annexée.
Se sachant repérée, elle part pour Lyon en 1941, cachée dans une locomotive avec Eugène, devenu son mari.
Viendront la rencontre avec Jean Moulin alias« Rex» et Daniel Cordier son assistant, alias« Caracalla».
Après l’arrestation de « Rex » en juin 1943, Laure Diebold-Mutschler poursuit sa mission avant d’être arrêtée par la Gestapo à Paris. Le général de Gaulle la nomme Compagnon de la Libération par décret le 20 novembre 1944 alors qu’elle est portée disparue. Elle était mourante, victime du typhus injecté par un médecin nazi, affalée sur une paillasse de fortune au revier (baraquement des malades, NDLR) d’un camp satellite de Buchenwald en Allemagne. Elle s’est battue pour survivre, puis a été rapatriée en France et a repris une vie presque normale. Très engagée dans les mouvements comme l’Adir (Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance), Laure Diebold-Mutschler trouvait encore le moyen d’aider les autres.« Toutes ces femmes revenues de déportation et qui avaient vécu des choses épouvantables se retrouvaient pour parler. Elles se comprenaient », reprend Marie-José Masconi, elle même fille de déportée. « Elles se ressemblaient, avaient beaucoup d’empathie et une grande humanité. » Laure Diebold-Mutschler est morte dans son lit à Lyon en 1965 et fut inhumée à Sainte-Marie-aux-Mines selon son désir. Elle n’a jamais raconté son histoire et ses souffrances, jamais cherché la lumière. Elle est restée jusqu’au bout dans l’ombre de l’armée des Ombres.
« Et les femmes se sont levées, portraits de résistantes alsaciennes et lorraines », La Nuée Bleue, 22 €.
Victime du typhus injecté par un médecin nazi
Daniel Cordier était le secrétaire de Jean Moulin, aux côtés de Laure Diebold Mutschler. Il est décédé le 20 novembre 2020. Photo VM DR
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