Histoire – Républicain Lorrain
Jean Moulin De Villevieux à Londres
Jérôme ESTRADA
Dans la mémoire nationale française, Jean Moulin reste la figure charismatique de la Résistance intérieure à l’Allemagne nazie. Chef du CNR, il fut arrêté et torturé, mais mourut sans dévoiler aucun secret. Photo AFP
André Moissé lève le voile sur le rôle des agents secrets dans l’unification de la Résistance. En prenant, pour exemple, le départ de Jean Moulin depuis la Franche-Comté vers Londres, en 1943.
On connaît l’attrait pour l’histoire d’ André Moissé, journaliste honoraire, auteur notamment de deux ouvrages sur la Résistance en Franche-Comté.
Chercheur aussi méthodique qu’obstiné, c’est lui qui, le premier, a détaillé l’action du fameux colonel Fabien dans le Doubs, en 1942, et en Haute-Saône, l’année suivante, où le résistant organise les maquis FTP. C’est encore lui qui révéla le nom du capitaine Pierre Arnaud comme chef de la compagnie de gendarmerie à Dole. Cet exécutant, aussi froid qu’aveugle, toujours prompt à devancer les désirs de l’occupant, dénoncera aux nazis son supérieur, le chef d’escadron Raymond Limouzin, qui périt en déportation. Il sera lui-même exécuté à Besançon à la Libération pour son ardeur collaborationniste. Enfin, personne n’a oublié les révélations d’André Moissé sur le colonel SS Joaquim Peiper qu’il avait pu interviewer. Le criminel nazi, responsable des massacres de Boves et de Malmédy, s’était mis au vert à l’écart du village de Traves, près de Vesoul. Sa maison sera incendiée en 1976. On retrouvera à l’intérieur un cadavre calciné que nul ne put jamais identifier avec certitude.
Cette fois-ci, André Moissé s’est penché sur Jean Moulin, ou plus précisément sur « un fait méconnu et instructif » : son départ vers Londres en 1943 et le rôle des agents secrets dans l’unification de la Résistance.
Pour cela, l’historien a fouillé les Archives de France, celles du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi les dossiers conservés au Sirpa, Défense à Ivry, ceux du Service historique de I’ Armée de Terre à Vincennes et de la Gendarmerie à La Châtre, découvrant des documents inédits, sortant de l’oubli des noms comme ceux d’Adrien Hémart du NAP Police, France d’abord (Noyautage des administrations publiques), Robert Ladel (STO et NAP) ou encore Georges Cotton (France d’abord). Le fruit de ses recherches, il le partage lors de conférences publiques ou dans le cadre de l’université ouverte de Franche Comté.
- << La maman de Léontine fête ses 28 ans>>
11 février 1943, Villevieux, près de Lons-le-Saunier. Max (alias Jean Moulin) et son agent secret anglais, son Joe, comme s’appellent entre eux les Britanniques, accompagnés de leur guide, Fernand Marillier, le fromager du village, par ailleurs chef local du mouvement Combat, profitent de la nuit pour rejoindre le château où habitent les trois sœurs Bergerot. Le même scénario se répète le lendemain avec Vidal (le général Delestraint, chef de l’Armée secrète) et son officier de sécurité.
« Marie-Louise, 61 ans, Marguerite, 57 ans et Cécile, 50 ans ne connaîtront le nom de ces clandestins qu’après la Libération », précise André Moissé. « L’une est veuve depuis la Grande Guerre, les deux autres sont célibataires. Réfugiées dans leur gentilhommière familiale, les trois Parisiennes vivent chichement mais n’hésitent pas à héberger, au péril de leur vie, les proscrits, plusieurs dizaines, sans jamais être dénoncées.»
- << Il a atteint les limites de la souffrance humaine >>
Max et Vidal embarquent à bord de deux Lysander de la RAF pendant qu’un troisième fait diversion au-dessus de Lons. Ils ont eu confirmation de leur vol par un message de la BBC : « La maman de Léontine fête ses 28 ans ».
« Ces monomoteurs du clair de lune sont l’outil commun du SOE britannique et du BCRA français », explique André Moissé. Les deux services secrets ont été créés en juillet 1940, le Special Operations Executive (Direction des opérations spéciales) par Churchill afin de soutenir les divers mouvements de résistance en Europe occupée, et le Bureau central de renseignement et d’action par De Gaulle qui mettra à sa tête le colonel Passy.
Les deux appareils décollent, le 14 février à 2 heures du matin, de la prairie de Ruffey. Chaque opération mobilise une cinquantaine de résistants du canton de Bletterans, des gendarmes, menuisiers, bouchers, agriculteurs, menuisiers, sans oublier instituteur et libraire, cafetier et épicier. « Le voilà le peuple de la nuit que saluera, en 1964, le ministre Malraux au Panthéon», s’exclame André Moissé.
À Londres, Jean Moulin rencontre le général De Gaulle qui le décore de la croix de la Libération et le nomme secrètement ministre, représentant du Comité national français en métropole avant de le charger de créer une instance de coordination. Peu reconnu par les mouvements de résistance, confronté à des rivalités, il y arrivera, non sans mal, le 27 mai 1943, date à laquelle a lieu la première réunion du CNR, Comité national de la Résistance.
Cependant, la situation se détériore, les arrestations se multiplient (Henri Manhès et Delestrain, notamment) et I’Armée secrète est décapitée.
Jean Moulin, lui-même, se sait traqué, comme il l’écrit au général De Gaulle : « Je suis recherché maintenant, tout à la fois par Vichy et la Gestapo, qui n’ignore rien de mon identité ni de mes activités. Ma tâche devient donc de plus en plus délicate, alors que les difficultés ne cessent d’augmenter. »
Le 21 juin 1943, lors d’une réunion clandestine organisée à Caluires, il tombe dans les griffes de la Gestapo de Klaus Barbie, avec d’autres dont Henri Aubry (Combat), André Lassagne (Libération Sud) et Raymond Aubrac (Armée secrète).
Officiellement, Jean Moulin meurt de ses blessures le 8 juillet 1943, en gare de Metz, dans le train Paris Berlin. Sa sœur écrira :
« Il a atteint les limites de la souffrance humaine, sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous ».
Prochaine conférence : vendredi 24 septembre à 20 h 30, au théâtre Edwige-Feuillère à Vesoul. Entrée libre. D’autres sont prévues à Villevieux (39) et à Dijon (21).
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