La FNAPOG du Doubs a organisé du 4 au 6 février 2024 la venue à Toulon de Léon Placek, ancien déporté, survivant du camp de Bergen-Belsen. Fruit d’un partenariat entre la FNAPOG et la FNDIRP du Var, par l’intermède de son président Gilbert Pommet et de notre jeune adhérent Néo Verriest.
Depuis peu, Léon témoigne inlassablement de sa déportation, à l’âge de onze ans, dans l’enfer concentrationnaire de Bergen-Belsen. Une fois de plus, Léon a dénoué le fil de sa vie, les déchirures d’une enfance dont les plaies ne se sont jamais refermées.
Néo Verriest a pu compter sur l’aide précieuse et décisive de Christiane Dormois, de Gilbert Pommet et de Claude Agostini, professeur retraitée. Vaillant monsieur de quatre-vingt-onze ans – toujours en activité dans son cabinet d’expertise-comptable comme il se plaît à le préciser -, Léon a témoigné auprès des élèves des collèges Louis Clément de Saint-Mandrier, Paul Eluard de La Seyne-sur-Mer et du lycée Dumont d’Urville de Toulon.
Fils de Pinkus et Itta Placek, venus de Pologne dans les années 1920, Léon voit le jour en 1933. La famille Placek, agrandie avec l’arrivée de Max en 1935, vit du salaire de cordonnier du père. En 1939, le père de Léon, « dans un souci de s’incorporer en France », s’engage dans la Légion Etrangère. La famille est évacuée en Gironde, avant de rejoindre la capitale. La famille échappe à une première interpellation grâce aux documents attestant du statut de prisonnier de guerre du père de Léon. « Ma mère se croyait intouchable, nous vivons comme ça, on voyait des amis qui partaient, soit en zone libre, soit arrêtés par la Police, et puis nous, on était tranquilles, femmes et enfants de prisonniers de guerre : extraordinaire ! » Jusqu’en février 1944. « Re, la Police. Ils tapent à la porte, six heures. Ma mère qui commence à hurler, à pleurer. “Regardez, je suis femme de prisonnier de guerre, vous vous trompez, il y a une erreur”. “On verra ça”. Bref, on nous emmène à Drancy, le commencement de la fin. J’ai vu mon premier suicide à Drancy, un homme s’est jeté sur la terrasse du premier étage ».
Déporté au « camp de l’étoile » de Bergen-Belsen
Léon, Max et Itta sont déportés par le convoi du 2 mai 1944 au camp de concentration de Bergen-Belsen. Léon connaît le quotidien des enfants déportés. Les appels interminables, « qu’il neige ou qu’il vente ». La faim omniprésente, qui le pousse à manger du goudron. Les poux de corps, que l’on écrase en permanence entre ses doigts. Et les morts, les quantités de cadavres qui s’entassent peu à peu. Selon Léon, « Il n’y avait pas de solidarité entre nous, c’était chacun pour soi. Ca veut dire quoi “solidarité”, c’est donner mon petit bout de pain à quelqu’un qui a faim, j’ai faim autant que lui, pourquoi je lui donnerai mon bout de pain ? ».
Le pénible et rigoureux hiver 44 est suivi de l’arrivée des survivants des marches de la mort, Bergen-Belsen ne tarde pas à devenir le mouroir que nous connaissons. « Un jour, j’étais dehors à côté des barbelés, de l’autre côté des barbelés c’était le camp des Russes et j’ai vu, comme je vous vois maintenant, un Russe se jeter sur un cadavre et essayer de manger de la chaire. Il n’a pas eu le temps parce que, du mirador, le nazi qui était là lui a tiré dessus. A la limite, je veux dire… Pourquoi pas manger du mort, pourquoi pas ? Un mort, c’est quoi, c’est des os et de la viande, c’est tout ».
Le train fantôme
Les Alliés approchant, Léon, Max et Itta sont évacués. « Nous sommes restés quinze jours dans ce train. Quand le train s’arrêtait, on descendait et on mangeait ce qu’on trouvait, de l’herbe, n’importe quoi. Les morts, on les jetait sur le ballast ». Le train est libéré aux abords de Tröbitz. « Ma mère, incapable de marcher. J’ai trouvé une brouette, on l’a mise dans la brouette et on l’a trimbalée jusqu’au village de Tröbitz. On l’a mise dans une espèce de clinique. Elle était allongée sur un lit, elle avait les jambes énormes, pleines d’eau. Une femme enlevait les chiffons et des dizaines de poux sortaient de ces chiffons. Et puis, je tombe dans les pommes : je me suis évanoui, par le typhus, ça veut dire que j’ai eu le typhus quinze jours avant, il y a eu incubation pendant quinze jours et il s’est déclaré à ce moment-là. Coup de chance ».
Beaucoup d’émotion
A son réveil, après quinze jours de coma, Léon apprend la mort de sa mère. Rapatrié par les Américains, Léon retrouve son père à Paris. Devenu expert-comptable, Léon s’est tu pendant près de soixante ans avant de mettre des mots sur sa déportation. Tout au long de ce séjour, Léon nous a fait sécher quelques larmes – je revois encore les élèves de La Seyne tremblant d’émotion. Les élèves se souviendront longtemps du message de Léon, en témoigne les nombreux mots et cadeaux offerts à notre témoin. A titre personnel, Néo a eu une vive pensée pour Francine Christophe, camarade de déportation de Léon bien présente dans son témoignage.
« [Comment avons-nous tenu ?] Je ne sais pas, la résilience ? C’est une question de morphologie, celui qui a de la chance avec sa morphologie supporte encore, l’autre meurt. Les survivants n’ont rien fait de plus que ceux qui sont morts, c’est une question de chance, de morphologie, de destin, de hasard… Appelez ça comme vous voulez ! Pourquoi moi j’ai survécu, je ne sais pas, c’est comme ça. Excusez-moi… d’avoir survécu ! »
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