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CHRONIQUE – Le lieutenant-colonel*, qui a servi dans la Légion, est le petit-neveu du dernier poilu, Lazare Ponticelli. Cent cinquante-huit ans jour pour jour après la bataille de Camerone, il rend hommage à ce corps de l’armée si particulier, seconde chance et école de vie pour de nombreux soldats.

Par Nathanaël Ponticelli transmis par Michel KLEN

« J’ai voulu défendre la France parce qu’elle m’avait donné à manger, c’était une manière de dire merci », ces quelques mots, prononcés par mon grand-oncle Lazare alors que je n’étais encore qu’un enfant, m’ont durablement marqué et résonnent aujourd’hui encore dans mon esprit. Après avoir quitté seul son Italie natale à l’âge de 9 ans, il avait choisi en 1914, alors tout juste âgé de 16 ans, de rejoindre la Légion étrangère tandis que l’orage grondait déjà sur nos frontières orientales. Il y retrouvera son frère aîné, dont il était sans nouvelles et aux côtés duquel il combattra pour défendre son pays d’accueil. Les années ont passé et, parvenu moi-même à l’âge adulte et ayant côtoyé de tels hommes, je me suis longtemps demandé comment un étranger pouvait choisir de s’engager au service de la France, c’est-à-dire accepter de donner sa vie pour défendre un pays qui n’est pas le sien. Au sein de cette unité militaire pleine de mystère, j’ai cherché une réponse à mes questions.

Comme Lazare et son frère dans les tranchées de la Grande Guerre, tout au long de notre histoire, ils sont nombreux à être venus combattre pour la France sous le fanion de la Légion. Il y a 158 ans aujourd’hui, le 30 avril 1863, à l’autre bout du monde, une poignée de ces volontaires étrangers portant l’uniforme français, bien que submergée par le poids du nombre, résistait jusqu’à la mort à l’assaut massif des troupes mexicaines dans l’hacienda de Camerone, pour accomplir leur mission et tenir le serment fait à leur chef. La jeune Légion étrangère écrivait alors, avec ce sacrifice aux confins du Mexique, son fait d’armes fondateur. Au long de près de deux siècles d’existence, la Légion a été de tous les combats de la France, au cours desquels 40.000 des siens sont tombés. Partout où des soldats français ont combattu pour défendre notre pays, se tenaient à leurs côtés ces hommes portant le même uniforme, mais qui, eux, n’étaient pas des fils de France. Aujourd’hui encore, dans toutes nos opérations, on trouve, aux côtés de leurs camarades français, ces soldats au béret vert et à l’accent marqué, tantôt rugueux, tantôt chantant, frères d’armes improbables à l’engagement sans faille. Qu’est-ce donc qui amène ces étrangers à servir notre pays au sein de la Légion ?

Extrême exigence

La première force de la Légion est de juger l’homme sur sa valeur propre, et non sur son passé, sa naissance, son origine ou sa fortune. En faisant abstraction des erreurs commises avant l’engagement, à l’exception des crimes de sang, de mœurs et des trafics de drogue, elle offre à ces hommes une seconde chance, l’occasion de repartir de zéro, alors que, partout ailleurs, leur passé les aurait suivis comme une marque indélébile.

Mais la contrepartie de ce nouveau départ est une extrême exigence. D’où qu’il vienne et quel que soit son passé, le jeune légionnaire sait qu’il s’engage sur un chemin difficile, où rien ne lui sera épargné. Il consent à bien des sacrifices, ceux de la dure vie courante, au quartier comme à l’entraînement, et celui peut-être, ultime en opération, si la mission l’exige. Il sait que, comme les hommes du capitaine Danjou à Camerone, son engagement ira s’il le faut jusqu’au don de sa propre vie.

En choisissant librement de franchir la porte de la Légion, le légionnaire accepte d’abandonner son ancienne vie pour servir son pays d’accueil. Il devra vivre à la caserne pour les cinq années de son premier contrat, ne pourra que très difficilement se marier pendant cette période, sera soumis à des règles très strictes.

En retour, il sait également qu’il sera jugé ici sur ses actes, sur son respect de la parole donnée. À la Légion, le passé s’efface, un autre temps commence au présent, promesse d’un nouvel avenir. Le légionnaire recevra une nouvelle patrie, une unité au sein de laquelle il pourra s’enraciner. Aux côtés de ses frères d’armes, il pourra vivre debout et affronter le monde la tête haute.

Fraternité

La Légion est aussi un monde à part. Au-delà du modèle militaire, qui ressemble à tant d’autres, avec ces longues heures passées à l’entraînement, ces tâches quotidiennes, souvent ingrates et parfois nobles, ces situations opérationnelles quelquefois exaltantes, c’est un modèle social unique et complet que forme la Légion, une extraordinaire exception. C’est une société militaire, une véritable famille, celle de tous ceux, portant de grands noms, ou simples inconnus, qui ont fait le choix courageux d’y repartir de zéro. Ils y sont venus par intérêt, par soif d’aventure, par grandeur d’âme, pour le prestige de cette unité ou par envie de servir quelque chose de plus beau, de plus grand qu’eux-mêmes. Parfois aussi pour trouver une forme de rédemption, ou parce que les hasards de la vie les ont poussés jusqu’à elle.

La Légion est également une formidable école de vie, un monde en miniature, une aventure humaine avec ses joies, ses peines, sa force collective dans les épreuves. C’est un lieu de fraternité plus que d’amitié, car les camarades de combat, comme les frères, ne sont pas choisis. Et pourtant on partage avec eux tous les instants de la vie, le quotidien, l’entraînement, la lutte et, parfois, la mort. C’est un lieu où, plus qu’ailleurs peut-être, on se bat pour une cause, un pays que l’on a volontairement choisi, en hommes libres. « Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a réservé : nous faire tuer pour elle », disait le lieutenant-colonel Dimitri Amilakvari, avant de tomber à la tête de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, à El-Alamein, en 1942.

C’est bien la France qui donne sens et noblesse à cet engagement et qui le transcende pour une cause plus noble. Nous autres, Français, souvenons-nous aussi que notre liberté et la paix dans laquelle nous vivons se sont payées, et se paient encore aujourd’hui au prix du sang. Et que le sang qui le paie n’est pas toujours le nôtre. Je n’ai moi-même jamais été aussi fier que le jour où, quittant le régiment au sein duquel j’avais passé quelques-unes des plus belles années de ma vie militaire et de ma vie d’homme, j’ai reçu, selon la tradition, en franchissant le portail, un képi blanc, symbole de cet engagement à titre étranger du légionnaire, si unique et si noble, et pour lequel je garde un profond respect.

Voilà ce qu’est la Légion étrangère : une aventure humaine unique et un modèle exigeant, exceptionnel sans doute, d’intégration par l’effort.

*Le lieutenant-colonel Nathanaël Ponticelli est un des coauteurs de « La Lune est claire. La Légion étrangère au combat 2008-2018 » (Les Belles Lettres, 2020, 312 p., 21 €), préfacé par François Sureau, de l’Académie française.

Récit du combat de CAMERONE

 L’armée française assiégeait PUEBLA. La Légion avait pour mission d’assurer, sur cent vingt kilomètres, la circulation et la sécurité des convois.

Le Colonel JEANINGROS, qui commandait, apprend, le 29 avril 1863, qu’un gros convoi emportant trois millions en numéraire, du matériel de siège et des munitions étaient en route pour PUEBLA.

Le Capitaine DANJOU, son Adjudant Major, le décide à envoyer au-devant du convoi une compagnie. La 3ème Compagnie du Régiment étranger fût désignée mais elle n’avait pas d’officier disponible.

Le Capitaine DANJOU en prend lui-même le commandement et les sous-lieutenants MAUDET, porte-drapeau, et VILAIN, payeur, se joignent à lui volontairement.

Le 30 avril, à 1 heure du matin, la 3ème Compagnie, forte de trois officiers et soixante-deux hommes, se met en route. Elle avait parcouru environ vingt kilomètres, quand, à 7 heures du matin, elle s’arrête à PALO VERDE pour faire le café.

A ce moment, l’ennemi se dévoile et le combat s’engage aussitôt. Le Capitaine DANJOU fait former le carré et, tout en battant en retraite, repousse victorieusement plusieurs charges de cavalerie, en infligeant a l’ennemi des premières pertes sévères.

Arrivé à la hauteur de l’auberge de CAMERONE, vaste bâtisse comportant une cour entourée d’un mur de trois mètres de haut, il décide de s’y retrancher pour fixer l’ennemi et retarder ainsi le plus possible le moment où celui-ci pourra attaquer le convoi.

Pendant que les hommes organisent à la hâte la défense de cette auberge, un officier Mexicain, faisant valoir la grosse supériorité du nombre, somme le Capitaine DANJOU de se rendre. Celui-ci fait répondre : « Nous avons des cartouches et ne nous rendrons pas ». Puis, levant la main, il jura de se défendre jusqu’à la mort et fit prêter à ses hommes le même serment.

Il était 10 heures jusqu’à 6 heures du soir, ces soixante hommes, qui n’avaient pas mangé ni bu depuis la veille, malgré l’extrême chaleur, la faim, la soif, résistent à deux mille Mexicains : huit cents cavaliers, mille deux cents fantassins.

A midi, le Capitane DANJOU est tué d’une balle en pleine poitrine. A 2 heures, le sous- lieutenant VILAIN tombe, frappé d’une balle au front. A ce moment, le colonel Mexicain réussit à mettre le feu à l’auberge.

Malgré la chaleur et la fumée qui viennent augmenter leurs souffrances, les légionnaires tiennent bon, mais beaucoup d’entre eux sont frappés.

A 5 heures, autour du sous-lieutenant MAUDET, ne restent que douze hommes en état de combattre. A ce moment, le colonel Mexicain rassemble ses hommes et leur dit de quelle honte ils vont se couvrir s’ils n’arrivent pas à abattre cette poignée de braves (un légionnaire qui comprend l’espagnol traduit au fur et à mesure ses paroles).

Les Mexicains vont donner l’assaut général par les brèches qu’ils ont réussi à ouvrir, mais auparavant, le Colonel MILAN adresse encore une sommation au sous-lieutenant MAUDET ; celui-ci la repousse avec mépris. L’assaut final est donné.

Bientôt il ne reste autour de MAUDET que cinq hommes : le caporal MAINE, les légionnaires CATTEAU, WENSEL, CONSTANTIN, LEONHARD. Chacun garde encore une cartouche ; ils ont la baïonnette au canon et, réfugiés dans un coin de la cour, le dos au mur, ils font face ; à un signal, ils déchargent leurs fusils à bout portant sur l’ennemi et se précipitent sur lui à la baïonnette. Le sous-lieutenant MAUDET et deux légionnaires tombent, frappés à mort. MAINE et ses camarades vont être massacrés quand un officier Mexicain se précipite sur eux et les sauve ; il leur crie : « rendez-vous ! ». « Nous nous rendrons si vous nous promettez de relever et de soigner nos blessés et si vous nous laissez nos armes ». Leurs baïonnettes restent menaçantes. « On ne refuse rien à des hommes comme vous ! » répond l’officier.

Les soixante hommes du Capitaine DANJOU ont tenu jusqu’au bout leur serment ; pendant 11 heures, ils ont résisté à deux milles ennemis, en ont tué trois cents et blessé autant. Ils ont, par leur sacrifice, en sauvant le convoi, rempli la mission qui leur avait été confiée.

L’empereur NAPOLEON III décida que le nom de CAMERONE serait inscrit sur le drapeau du régiment étranger et que, de plus, les noms de DANJOU, VILAIN, et MAUDET seraient gravés en lettre d’or sur les murs des Invalides à Paris.

En outre un monument fût élevé en 1892 sur l’emplacement du combat. Il porte l’inscription :

ILS FURENT ICI MOINS DE SOIXANTES OPPOSES A TOUTE UNE ARMEE, SA MASSE LES ECRASA.

LA VIE PLUTÔT QUE LE COURAGE ABONDONNA CES SOLDATS FRANCAIS LE 30 AVRIL 1863.

A LEUR MEMOIRE LA PATRIE ELEVA CE MONUMENT.

 Depuis, lorsque les troupes Mexicaines passent devant le monument, elles présentent les armes.

 

Photo 2020

                                                                                  FLASH

Les dernières annonces gouvernementales sur les mesures de freinage de la pandémie imposent une adaptation des commémorations de Camerone.

Si les légionnaires fêteront Camerone le 30 avril dans l’intimité de leurs unités, sans les invités ni les familles, le report d’une commémoration plus solennelle, au moins à Aubagne est à l’étude.

 

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