Robert, 95 ans,
Résistant dès ses 16 ans au sein du « Maquis Vallier », Pupille de la Nation
Témoignage recueilli par Néo
« Le corps inerte de mon père fut retrouvé avec l’odieuse inscription « C’est ainsi que meurent les traîtres de la France ! »
Dès 1943, mon père ravitaille le Maquis du Haut-Var, le Maquis Vallier. C’est un groupe de Maquisards et Résistants créé en 1943 dont mon père, Ernest est à l’origine, avec le lieutenant Glèb Sivirine. Il est constitué des Mouvements Unis du Var et d’une branche armée : l’Armée Secrète (AS). De bouche à oreille, plusieurs personnes nous rejoignent, dont de nombreux militaires et généraux, dont l’amiral Sanguinetti.
Beaucoup de jeunes réfractaires au STO, qui sont recherchés par les autorités vichystes et la Gestapo nous accompagnent.
Le groupe s’organise alors sous le couvert de l’entreprise de mon père, la société G.A.B.Y., dirigée par Louis Picoche, pilier du Maquis. C’est une société de livraison pour de bois qui a, servi à dissimuler des armes et autres matériels. Ainsi, le Maquis est ravitaillé en vêtements, aliments et armes. Les cars GABY dissimulent beaucoup de matériels indispensables à la Résistance, ramenés à Aups, à l’Estagnol, à la propriété Authon à Hyères… Mon père organise donc ces déplacements dans une camionnette. Le groupe s’organise principalement autour du maquis, et des quelques hommes, dispersés dans tout le Var, auprès de commerces, d’entreprises, des boulangeries, … qui nous aident dans nos actions. Pour autant, la Résistance n’a pas commencé le jour de notre engagement officiel, elle est avant tout morale, puis active. Je me suis ainsi investi bien avant l’encrage du groupe…
C’est début 1944 que je participe au cambriolage de l’Office de placement allemand de Hyères. Ce bâtiment recueille les papiers concernant les personnes recherchées par la Gestapo et la milice : Juifs, maquisards, réfractaires au STO… Avec mon père et quatre autres Résistants dont Armand Boussart, nous allons à dix heures devant l’Office, nous attendons que les spectateurs sortent du cinéma et nous tentons d’ouvrir la porte. Je fais le guet et surveille les environs. Après avoir eu du mal à ouvrir, nous prenons plusieurs liasses de papiers concernant les recherchés et réfractaires du STO. Une fois récupérés, nous les cachons dans la banquette arrière du car de la ligne Hyères-Giens. Les papiers sont brûlés dans un four d’une boulangerie du Haut-Var… Le Maquis est financé par Londres et a pour mission de faciliter les débarquements prochains par des actions de diversion, répandre des rumeurs pour tromper l’occupant nazi, participer à la Libération prochaine du territoire, aider les aviateurs abattus, préparer des terrains de parachutage… Des cartes de ravitaillement, des tickets de rationnement, des fausses pièces d’identité sont créées pour les Maquisards recherchés par la Gestapo et la milice.
Nous avons peu de moyens et prenons des risques considérables avec un mot d’ordre : la prudence.
C’est un médecin, le docteur German qui s’occupe des malades et infirmes du Maquis. Dans son personnel, ses voisins, beaucoup étaient au courant mais personne ne le dit. La ville a par la suite remercié ses administrés de ne pas l’avoir dénoncé, ce qui a été primordial pour notre groupe… Nous sommes toujours passé à travers le filet car il y a toujours un motif à nos actions. Certains agissent sous couvert de coupe de bois pour livrer, d’autres sont grossistes et nous fournissent l’essentiel en terme d’alimentaire. Nous sommes installés dans tout le Haut-Var, notamment aux Salles -sur-Verdon, où une Résistante, madame Amnot, dirige un restaurant, à Aups, à Giens, mais également à Hyères et vers Toulon.
Mon père continue d’organiser des dépôts au Luc, suite à des enlèvements. Nous organisons d’autres actions d’envergure, il participe à la récupération des armes à la caserne de Hyères. Alors qu’il est en mission de ravitaillement, il est arrêté à un barrage organisé par la milice à Marseille. Ils allaient pour le ravitaillement à Moissac et sont pris dans une embuscade. C’est un piège… Une arme est trouvée dans son coffre, il est fusillé le jour-même sommairement, le 12 Juin 1944, par des Français ! Le lieutenant Vallier apprend la nouvelle comme moi par les « on-dit ». Mon père a été tué par une balle en pleine figure et Duchâtel s’est fait tuer au garde-à-vous… Les miliciens ont laissé les corps au soleil toute la journée avec un infâme écriteau portant l’inscription « C’est ainsi que meurent les traitres de la France ! » …
« L’autre événement de ces jours- ci m’a été une très grande peine. Lundi, mon vieux copain Millet, Ernest Millet avec qui nous étions déjà si copains autrefois, avant la résistance, au vieux temps des cars Hyères-Tour Fondue, et avec qui insensiblement on était devenus des amis depuis que nous étions “résistants”, Millet est tombé sous les balles des miliciens. Avec lui est tombé Duchâtel, un des 3 gendarmes d’Aups qui sont venus pour se battre avec nous et qui depuis longtemps nous aidait, grâce à son métier de gendarme. Ils allaient pour le ravitaillement à Moissac et à Aups et ont été pris dans une embuscade des miliciens. Bouet, l’un des gendarmes a réussi à se sauver et est revenu au camp le soir tard, et c’est par lui que j’ai appris le traquenard. Il ne savait rien du sort de ses camarades, et c’est le lendemain, par les “on-dit” du pays et le soir par un télégramme officiel adressé d’Aups à Aiguines où habitait la famille de Duchâtel, qu’il a su la mort des deux hommes.
« Ernest a été tué par une balle en pleine figure et Duchâtel après avoir épuisé les munitions de son revolver s’est fait tuer au garde à vous. Les miliciens ont laissé les corps dehors au soleil toute la journée avec un écriteau portant : “C’est ainsi que meurent les traîtres de la France”. Et on veut qu’il n’y ait pas de haine entre Français ! Autrefois je ne voulais combattre que contre les Boches, – mais le soir où j’ai appris cela, j’ai juré vengeance à Ernest et à Duchâtel – impitoyable. » (Extraits du Journal De Farigoule à Canjuers du Lieutenant Vallier)
Une messe est donnée peu après à l’Église Saint-Louis à Hyères. Une importante foule se réunie le 14 Juillet 1944 devant notre domicile, au 16, boulevard Riondet, où je vis avec ma mère. Des manifestants crient
« Ernest, nous te vengerons ! » Un moment d’émotion intense et marquant… Je n’arrête pas mes actions, bien au contraire.
L’heure du débarquement et de la Libération approche, en tant que Résistant, je m’engage avec mes camarades dans les combats dans les rues du centre-ville de Hyères, nous faisons des prisonniers et libérons en partie la ville. Hyères est libéré le 21 août 1944 par la 1° DFL (Division Française Libre) du Général de Lattre, qui a débarqué à Cavalaire. Le même jour, je suis dans les Alpes, vers la frontière où nous libérons différentes localités. Nous sommes arrêtés dans nos actions vers les villes proches de l’Italie, dans le sud des Alpes, que les Américains désirent libérer avant la venue des Français… Nous stationnons à Embrun à l’hiver 1944 à -30° avant d’être intégrés dans le bataillon de chasseurs alpins.
Le Var, la Provence, puis la France sont libérés, Louis Picoche et les principaux piliers de la Résistance locale ayant organisé la Résistance varoise rencontrent le Général de Gaulle. Des personnes d’une certaine simplicité et humilité, satisfaits d’un devoir accompli… Mon père, reconnu « Mort pour la France » est enterré à Aups.
J’ai fait toute ma carrière dans la même société qui nous avait tant aidé dans la Résistance, et ce jusqu’à ma retraite où j’ai commencé à prendre conscience de l’importance de témoigner pour transmettre. Depuis les années 1980, j’organise et participe aux voyages dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof ou à la citadelle de Besançon avec des jeunes varois, adultes de demain.
Je témoigne depuis plus de trente ans auprès des plus jeunes pour la mémoire de ceux étant tombés pour notre pays, dont mon père, pour la paix, pour l’avenir de cette magnifique jeunesse »
Robert, 95 ans
Mémorial du débarquement et de la Libération de la Provence
Plusieurs Résistants du Maquis Vallier à la Libération
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