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Outre-mer

La France s’engage à assumer les conséquences des essais nucléaires en Polynésie

Au terme de deux jours d’une table ronde sur les conséquences des 193 essais nucléaires en Polynésie française, Macron et trois ministres se sont engagés à la vérité et la justice, mais pas à demander pardon.

Commémoration de l’anniversaire du premier essai nucléaire, Aldébaran, exécuté le 2 juillet 1966 sur l’atoll de Moruroa, vendredi à Papeete. (Suliane Favennec/AFP)

par LIBERATION et AFP

publié le 3 juillet 2021 à 15h43

Ils étaient 2 500 Polynésiens à descendre vendredi dans les rues de Papeete, à Tahiti. Comme chaque année, c’est pour commémorer l’anniversaire du premier essai nucléaire, Aldébaran, exécuté le 2 juillet 1966 sur l’atoll de Moruroa. Pour 2021, l’affluence est record alors que vient de se clore à Paris une table ronde sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.

Massés dans la capitale tahitienne, les manifestants répondaient à l’appel de l’association Moruroa e tatou, qui œuvre localement pour la reconnaissance et l’indemnisation des personnels, civils et militaires victimes de maladies radio-induites après les essais atmosphériques en Polynésie française. L’Eglise protestante Ma’ohi avait aussi appelé à la manifestation, tout comme le parti indépendantiste, le Tavini huiraatira, ou encore Gaston Flosse, ancien président de ce territoire français qui a pourtant soutenu ces mêmes essais lorsqu’il était au pouvoir.

27 janv. 2021

Les associations exigent toujours de la France qu’elle demande pardon pour les essais réalisés et ses conséquences sociales, sanitaires et environnementales. Si excuses il y a, ce ne sera pas pour tout de suite : jeudi, la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, Geneviève Darrieussecq, a exclu tout pardon de la France. Elle a affirmé qu’il n’y avait «pas eu de mensonge d’Etat» sur les 193 essais nucléaires réalisés en Polynésie française entre 1966 et 1996, alors qu’une enquête du média d’investigation en ligne Disclose intitulée «Toxique», élément déclencheur de cette table ronde, affirmait en mars que la France avait sciemment minimisé les chiffres des retombées radioactives des essais nucléaires.

«La Polynésie française a grandement contribué à la construction de notre force de dissuasion et il convient d’assumer toutes les conséquences, humaines, sociétales, sanitaires, environnementales et économiques», s’est contenté de préciser Geneviève Darrieussecq.

«Tourner la page de ces terres polluées»

Au terme d’une table ronde de deux jours sur le sujet organisée à Paris, le chef de l’Etat ainsi que trois ministres se sont toutefois engagés vendredi soir, dans leurs domaines respectifs de la Santé, des Armées et des Outre-Mer, à la vérité et à la justice.

Dans une annexe de Matignon, la délégation polynésienne Reko Tika («parole de vérité») a consacré la matinée de vendredi aux questions sanitaires, sous la présidence du ministre de la Santé, Olivier Véran. «Selon nos données de la Caisse de prévoyance sociale [CPS, Sécu locale, ndlr], les femmes polynésiennes, entre 40 et 50 ans, ont le taux de cancer de la thyroïde le plus important du monde», a déclaré Patrick Galenon, ex-président du conseil d’administration de la CPS.

La thyroïde étant un organe très sensible, les rayons ionisants ont, selon Patrick Galenon, un effet important in utero et dans les premières années après la naissance. Il estime que la CPS a dépensé 670 millions d’euros pour les maladies radio-induites depuis 1985, et souhaite le remboursement de ces dépenses par la France.

«C’est une demande qui nous paraît légitime pour les victimes ayant fait l’objet d’une indemnisation par le Civen [Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires]», a répondu Olivier Véran. Les sommes prises en charge seraient cependant minimes si elles ne concernaient que les victimes déjà indemnisées. En revanche, le ministre de la Santé s’est engagé à financer la recherche sur ces cancers, mais aussi à faciliter les indemnisations des victimes en simplifiant les démarches administratives.

Véran a également proposé un soutien médical à travers des postes d’internes en médecine. S’il ne s’est pas engagé sur la création d’un Institut du cancer à Tahiti, selon Patricia Grand, présidente d’honneur de la ligue contre le cancer en Polynésie, le projet est en bonne voie.

Sur les questions environnementales, le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, a souhaité «définitivement tourner la page de ces terres polluées» à propos des atolls périphériques du Centre d’expérimentations du Pacifique, comme celui de Hao, dans l’archipel des Tuamotu.

Probable ouverture des archives

Pour le reste, les ministres ont suggéré que les annonces les plus importantes attendraient le déplacement d’Emmanuel Macron, prévu à Papeete le 25 juillet, tel que l’a annoncé le président à la délégation polynésienne. Selon le président de la Polynésie française, Edouard Fritch, le chef de l’Etat devrait notamment annoncer une ouverture des archives à cette occasion. «Le président de la République a confirmé l’ouverture totale des archives à la Polynésie française mises à part naturellement les archives portant sur des informations proliférantes», c’est-à-dire les informations qui permettraient à d’autres pays d’obtenir l’arme nucléaire.

Le libre accès à ces dossiers liés au nucléaire demeure jusqu’à présent la principale demande des historiens. «Il y a une clause particulière dans le code du patrimoine qui précise que tout ce qui a trait au nucléaire est incommunicable, explique l’historien Renaud Meltz, qui pilote une équipe d’une quinzaine de chercheurs sur l’histoire des essais. Mais cette loi nous est parfois opposée pour nous empêcher de voir des archives qui ont trait aux conséquences sanitaires, aux oppositions politiques, aux chocs éventuellement culturels qu’il peut y avoir entre les Polynésiens et les métropolitains.»

En attendant la venue du Président, les associations ont une autre échéance cochée sur leur agenda : le 17 juillet, date anniversaire du tir Centaure, où elles espèrent réactiver le mouvement en vue d’un dépôt de plainte pour crime contre l’humanité devant la Cour pénale internationale de La Haye.

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